Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/614

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais seulement libre, elle doit commencer par se contenir elle-même dans les bornes de la justice et de la raison, par remplir ces devoirs primitifs et respecter ces droits sacrés qui assurent la dignité du plus humble des êtres humains.

C’est une expérience du même genre, commencée à la même époque, qui se poursuit aujourd’hui sous nos yeux, non plus sur le champ borné d’une seule société politique, mais dans la sphère plus étendue des relations internationales. Là aussi la souveraineté populaire, encore à ses débuts, prétend régner sans partage et suivre ses fantaisies sans tenir compte des règles éternelles de la justice et des conseils presque aussi anciens de la raison. Il est peut-être bon que cette nouvelle épreuve se fasse jusqu’au bout, et que sur ce nouveau théâtre la vanité d’une prétention si arrogante soit une fois de plus démontrée par l’amertume des fruits qu’elle porte.

Le plus manifeste et le plus choquant indice de cette aspiration vers l’omnipotence qu’affecte la souveraineté populaire, nous l’avons indiqué plus d’une fois dans le cours de cet écrit. C’est le mépris de ce droit élémentaire que l’honneur et le bon sens publics ont appelé la foi des traités. C’est l’habitude, tantôt publiquement avouée, tantôt tacitement contractée par tous les états que régit le droit nouveau, de mettre, à néant leurs engagemens les plus formels, dès que le peuple dont ils relèvent témoigne, soit par son vote exprimé, soit par son opinion supposée, la fantaisie de s’en affranchir. Nous avons vu quelles avaient été à cet égard les libertés arrogantes et excessives prises par nos premiers gouvernemens révolutionnaires ; mais le spectacle que nous donnons nous-mêmes n’est guère moins instructif. Nous voyons en effet se créer chaque jour sous nos yeux une jurisprudence féconde dont le rapide développement n’étonne pas ceux qui connaissent quelle force les faux principes empruntent et prêtent tour à tour aux passions qu’ils favorisent. Il y a peu d’années, on mettait encore à cette résiliation unilatérale des traités synallagmatiques quelques conditions qui en rendaient l’usage sinon plus légitime, au moins plus rare et moins périlleux. On voulait bien encore admettre que, pour qu’un état pût prétendre à répudier un traité signé par dès représentans régulièrement accrédités, il fallait que dans son intérieur se fût opéré un de ces grands bouleversemens d’institutions, de personnes et de choses qu’on appelle une révolution. Il fallait que le gouvernement qui avait conclu la convention ainsi récusée eût été renversé et remplacé par un autre. On demandait bien par exemple au roi Louis-Philippe de tenir pour non avenues toutes les conditions subies ou consenties par la restauration en 1815 ; mais on n’eût point osé faire la même proposition à Louis XVIII ou à Charles X. M. de