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Lamartine, proclamant sur les marches de l’Hôtel-de-Ville la destruction de ces douloureux traités, ne réclamait pour la république que la faculté de ne pas faire honneur à la signature de la monarchie. Quant à la république elle-même, elle eût encore rougi de n’être pas crue sur sa propre parole. Cette précaution très insuffisante avait au moins l’avantage d’établir entre la signature et la rupture d’un engagement, entre la foi donnée et la foi retirée, entre le serment et le parjure, une solution de continuité très apparente, qui mettait les intéressés sur leurs gardes. Une révolution était une sommation d’huissier par laquelle une nation faisait savoir à qui de droit son intention de se mettre en faillite elle-même et de ne plus payer ses dettes.

C’était là, ce semble, une facilité assez large ; mais la dernière mode du droit nouveau ne la trouve pas encore suffisante à son gré. La formalité d’une révolution est gênante et coûteuse à remplir. Un changement de ministère ou, mieux encore, un vote de parlement donne moins d’embarras. Il n’en faut pas davantage désormais pour qu’une convention dont Dieu, l’honneur et la conscience ont été pris à témoin l’année passée puisse être foulée aux pieds l’année suivante. L’opinion publique a changé ; le vœu populaire d’hier n’est plus celui d’aujourd’hui. Ce serait faire injure au peuple souverain que d’assujettir sa volonté présente à tenir compte du souvenir et des conséquences de sa volonté passée. Vite un traité nouveau, si le traité existant a cessé de plaire, ou point de traité du tout, si le souverain n’en veut pas ou n’en veut plus. C’est la morale accommodante qui lui est prêchée par ses flatteurs. Dirait-on que ce tableau est exagéré ? Les exemples abondent pour en attester l’exactitude. Où sont, non pas ces vieux actes de 1815, qu’on n’ose plus nommer sans sourire (car ils ont cinquante ans de date, ce qui est assurément une antiquité tout à fait gothique), mais où sont les traités de Londres de 1852, de Zurich de 1859, de Miramar de 1861 ? Où est la convention du 15 septembre 1864 ? Mais où sont les neiges d’antan ? Tous ont fondu en effet au souffle de l’opinion, comme la neige au retour de la saison. Tous, à peine transcrits sur le parchemin, ont dû faire retraite devant le vœu réel ou prétendu des populations. Et remarquez que c’est toujours la partie la plus obligée, France, Allemagne, Italie, qui, faisant parler à son goût le vœu populaire, a dénoué de ses propres mains le lien qui l’enchaînait.

Il faut pourtant s’expliquer et qu’on sache si le peuple souverain et ceux qui se font ses organes ont décidé dans leur sagesse de rayer l’honneur et la bonne foi du nombre des devoirs de l’humanité. S’il est permis en effet à une nation d’engager sa parole pour