Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/617

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la faible humanité, n’ayant ni renommée à perdre ni conscience à mettre en paix, se portent au-devant du parjure aussi bien que du crime sans craindre l’infamie ni le remords ! Qu’il nous rende, je ne dis pas ces rois, mais même ces tyrans que leurs dupes ou leurs victimes pouvaient au moins flétrir ou maudire, et qui, dans l’emportement de leurs convoitises ou la machination de leurs intrigues, étaient quelquefois arrêtés par la pensée de livrer leur nom à l’exécration des hommes et leur âme à la justice divine.

Mais, Dieu soit loué ! nous ne sommes pas condamnés à ces comparaisons et à ces regrets. Nous persistons à penser mieux de la souveraineté populaire et à attendre d’elle de meilleures choses que ses adulateurs attitrés. Loin d’imaginer qu’en devenant souverain le peuple ait acquis le droit de manquer à sa parole, nous pensons que, s’il a jamais possédé ce droit funeste, c’est en montant à la souveraineté qu’il a eu le bonheur de le perdre. A quel titre en effet un peuple soumis jusque-là docilement au sceptre de ses rois se déclare-t-il à un certain jour émancipé ? Le mot d’émancipation le dit avec éloquence. Il était en tutelle, il se fait majeur. L’enfant fait homme réclame l’exercice de ses droits et le maniement de ses affaires. 1789 a été pour la France une déclaration de majorité politique. J’ouvre tous les codes du monde, et j’y vois que le premier droit du majeur, c’est d’être capable de s’obliger. L’enfant est supposé trop faible pour résister à la contrainte, trop ignorant pour se garder de la ruse, trop imprévoyant pour disposer de son avenir. La loi ne lui permet de contracter d’obligation qu’avec l’aide d’un père ou d’un tuteur : elle couvre son infirmité d’une pitié protectrice ; mais elle témoigne à la virilité plus d’estime en lui demandant compte de tous ses actes. A partir de cette prise de possession de la vie civile et morale, l’homme, reconnu mûr et capable, est lié pour un avenir indéfini par le moindre de ses engagemens. Toutes ses paroles valent et tiennent sans que le temps ni les événemens les effacent. Vieillard, il portera jusqu’au tombeau les suites de la foi validement, bien que peut-être témérairement engagée dans le feu de la jeunesse ; vainement alléguerait-il, pour s’y soustraire, l’altération de l’humeur produite par les glaces de l’âge ou les vicissitudes de la destinée. Ces chances de la vie, il a dû y préparer son âme, et le cours des passions, il a dû le régir. C’est à ce prix qu’il est un homme à la fois maître et responsable de sa destinée. Voilà l’homme, et voilà le peuple aussi, s’il est viril. Ceux qui lui tiennent un autre langage se jouent de la crédulité et des caprices d’un enfant gâté. Quoi donc ! le peuple s’attribuerait les droits sans s’imposer les devoirs, et prétendrait avoir la liberté sans la responsabilité, son inséparable compagne ! Il est libre, il est roi, tout ce