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contredire même certaines applications. Et dès lors on peut se demander pourquoi il ne jouerait pas à l’égard du nouveau absolument le même rôle. Qu’on me dise pourquoi le droit populaire serait plus inflexible et plus intraitable dans ses exigences que le droit monarchique, et pourquoi les mêmes motifs ne légitimeraient pas une exception du même genre. Si l’Europe du XIXe siècle a le même intérêt que l’Europe du XVIe ou du XVIIe à ne pas laisser croître dans son sein une puissance prédominante qui serait sûre de toujours gagner sa cause au tribunal des batailles et de dicter à son gré tous les arrêts de la victoire, si la porte est tout aussi grande ouverte au péril d’une telle formation par la voie des annexions au suffrage universel que par la voie des alliances et des héritages, si tous les termes, en un mot, sont pareils, sauf que le devoir de veiller aux intérêts publics a passé des monarques aux citoyens, c’est aux souverains du jour de pourvoir à la sûreté commune par le même esprit de prudence et de réserve dont ont fait preuve autrefois leurs prédécesseurs couronnés. Je cherche quelle fierté déplacée leur ferait trouver humiliante la condition qu’ont subie Charles-Quint et Louis XIV. Ayons donc, pratiquons pour nous-mêmes et, s’il le faut, exigeons des autres des renonciations populaires comme nos pères ont demandé, pratiqué et obtenu des renonciations royales. Que les peuples résistent au désir d’absorber leurs voisins comme les rois ont pris sur eux en certains cas de ne pas toucher à l’héritage de leurs parens. Si l’intérêt particulier répugne à cet acte d’abnégation, que l’intérêt général parle assez haut et assez ferme pour être écouté. J’entends bien que c’est un sacrifice qu’il faut avoir la sagesse ou de s’imposer à soi-même ou de se laisser imposer par autrui. Je comprends ce que certaines annexions ont de séduisant pour la vanité, soit d’un grand état qui s’accroît de plusieurs petits royaumes, soit même de petits peuples qui se trouvent subitement élevés au rang de grandes nations. Je comprends qu’il serait agréable de compter 70 millions de concitoyens vivant sous une même loi, pouvant mettre 1,500,000 hommes en ligne au premier signal, et faire voguer sur deux mers plusieurs escadres cuirassées ; mais il était fort agréable aussi à Charles-Quint de s’entendre dire par ses flatteurs que le soleil ne se couchait pas sur ses états, et c’est de cet agrément-là que son successeur a été contraint de se priver. En passant des races royales aux masses plébéiennes, l’ambition est-elle devenue un sentiment plus légitime, ou qui ait moins besoin d’être tenu en bride ?

Il est bien entendu qu’il ne s’agit pas d’opposer à toutes les annexions sans distinction un veto général et d’éterniser ainsi, contrairement au cours naturel du temps, les divisions de peuples et la