Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/636

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaissance avec les Japonais, puisqu’en dépit de l’éloignement nous cherchons par tous les moyens à nouer avec eux des relations sérieuses, et que de leur côté ils semblent assez disposés à répondre à nos avances pacifiques.


I

Des trois seuls points que nous puissions habiter au Japon, Yokohama est le plus considérable tant par le chiffre de sa population que par le voisinage d’un grand centre politique et commercial, Yeddo, capitale des états du taïcoun. Yokohama n’existait pas avant 1858 ; il n’y avait là qu’un village, une agglomération de quelques cabanes de pêcheurs sur un terrain marécageux, à l’entrée d’une vallée gracieuse située entre deux collines boisées. En quelques années, le village est devenu une ville commerçante, et par conséquent une ville qui n’a pas le cachet aristocratique des grandes résidences japonaises. En face de nous en effet, on ne trouve qu’une population du dernier ordre, rassemblée là pour nos besoins : pêcheurs, marchands, ouvriers, coulies, vivant tous de notre présence ; au-dessus d’elle se détache un groupe compacte d’employés de douane et de police, les plus corrompus probablement que le gouvernement japonais ait pu trouver dans ses états, et une milice douteuse, mal habillée, mal payée, enrégimentée pour les besoins de notre défense, mais choisie dans les couches inférieures de la société ; enfin un gouverneur et deux vice-gouverneurs, fonctionnaires mobiles, de manières et d’extraction diverses, tantôt communs, tantôt polis, les uns de formes aimables, paraissant se plaire dans leurs rapports avec les étrangers, les autres farouches, subissant avec répugnance les obligations imposées à leur emploi, tous d’ailleurs très petits personnages dans le pays, n’ayant rien du caractère de la haute aristocratie japonaise, qui ne condescendrait pas à tenir des fonctions subalternes dans une ville remplie d’étrangers. Pour rehausser l’importance du personnage, les formes extérieures du respect sont poussées aux dernières limites ; matin et soir, quand le gouverneur va de ses bureaux à sa maison de campagne, ou quand par hasard il traverse les rues européennes de Yokohama, les coureurs qui précèdent son cheval crient à la foule de se prosterner. Les employés, les gens de police, de la douane, toute la classe à sabres s’arrête et s’accroupit en baissant la tête ; mais les marchands regardent du fond de leurs boutiques, les coulies et les passans s’effacent dans quelque coin. On tient moins au salut du peuple ; il le sait, il en est avare et ne le donne que dans une rue étroite, lorsqu’il n’y a pas moyen d’esquiver la génuflexion. Du reste, et pour racheter en quelque sorte la lâcheté de son