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sculptures étaient autrefois revêtues de dorures et de couleurs que le temps a presque entièrement effacées. Henri Lacy, comte de Lincoln et constable de Chester, était un grand seigneur qui de son vivant avait, dit-on, prêté sa maison de ville aux professeurs de droit, et après sa mort (1310) cette ancienne résidence aristocratique devint l’hôtel des légistes sous le nom de Lincoln’s Inn, Thomas Lovell, trésorier de la maison du roi Henri VIII et membre de la société des avocats, est celui qui a contribué de son argent à l’érection de cette entrée monumentale. La voûte à ogive surbaissée se trouve défendue par une porte en chêne qui fut posée en 1564, sous le règne d’Elisabeth, et qui se ferme tous les soirs, car, aussi bien que le Temple, Lincoln’s Inn constitue en quelque sorte une ville dans la ville. Cette porte donne accès dans une cour où l’on se trouve tout à coup enveloppé d’un côté par des corps de bâtimens où logent les avocats durant la journée, et de l’autre par les murs d’un vieil édifice appuyé sur des contre-forts et surmonté de parapets crénelés. Cette construction sombre et bizarre, dans laquelle s’ouvrent de distance en distance de grandes fenêtres à ogive, est l’ancien hall de Lincoln’s Inn, bâti en 1506, et où siège maintenant la cour de chancellerie. On y voit un tableau qui représente Paul prêchant devant Félix et qui ne fait point honneur à Hogarth. Ce grand peintre de mœurs était un mauvais peintre d’histoire. Il faut sortir de ce dédale de vieilles murailles et de galeries couvertes avant de se trouver dans une seconde cour où l’horizon s’élargit et d’où l’on aperçoit quelque verdure. Les jardins de Lincoln’s Inn étaient autrefois célèbres ; ils ont été récemment bien entamés par la construction de nouveaux édifices. La tradition veut que Ben Jonson ait travaillé en qualité de manœuvre au vieux mur qui séparait ces jardins de Chancery-lane, et qui a été depuis longtemps remplacé par des bâtimens. On raconte en effet qu’il avait épousé la fille d’un maçon et qu’il aida pendant quelques années son beau-père à poser des briques. Le digne écrivain Thomas Fuller nous le représente tenant la truelle d’une main et de l’autre son Virgile, qu’il feuilletait durant les heures de loisir. Ce souvenir ou cette fiction est ce que Leigh Hunt appelle une fleur sur un vieux mur[1]. D’autres racontent que Cromwell passa deux ans dans Lincoln’s Inn, où il occupait un logement, près d’une des tours ; mais son nom ne se retrouve point sur les registres de la société. Au reste ce ne sont point les ombres qui font le mérite de cet inn of court, sa valeur repose avant tout sur les hommes en chair et en os qui l’habitent aujourd’hui et sur les monumens qu’ils ont élevés.

  1. Il est du moins certain que le poète dédia plus tard une de ses comédies aux inns of court, qu’il appelle « une des plus nobles pépinières de l’humanité et de la liberté. »