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toujours, ou du moins ce n’est guère l’homme le plus en vue qu’elle favorise. L’avoué, quoique rejeté sur le second plan, bat monnaie avec l’éloquence de son protégé, tandis que ce dernier court quelquefois aux abîmes par un chemin jonché de palmes. Aussi a-t-on vu dans ces derniers temps des avocats célèbres, enviés et admirés de tous, mais accablés sous le fardeau des dettes, succomber au moment où l’on s’y attendait le moins. Plus d’ailleurs il s’élève, et plus le légiste anglais est responsable de ses actes devant l’opinion de ses confrères. Le conseil de l’inn of court auquel il appartient a le droit de l’arrêter sur la voie du succès, s’il a eu recours à des moyens désavoués par les usages du barreau. De telles sociétés ont en quelque sorte fait l’avocat ; elles peuvent le défaire. Il suffit d’un jugement de ces cours d’honneur pour que le membre condamné soit disbarred, c’est-à-dire dépouillé de sa robe et de ses prérogatives. Dans le cas pourtant où il n’accepterait point la décision du bench (gouvernement de l’inn), l’avocat dégradé peut en appeler à un tribunal composé de quinze juges, et dont le verdict est irrévocable.

De jeunes barristers, plus modestes ou plus dignes, avertis d’ailleurs des écueils qui se rencontrent sur la route des audacieux par certaines catastrophes bien connues, se contentent de louer quelques chambres où ils attendent la clientèle. Les affaires viennent ou ne viennent pas ; le plus souvent le clerc, dont ils ont engagé les services pour répondre durant leur absence et se donner les airs d’hommes occupés, y a tout le temps de bayer aux corneilles. Eux-mêmes ne savent que faire de leurs loisirs, à moins qu’ils ne s’enrôlent à la suite d’un autre avocat plus heureux dont ils sont alors, selon l’expression anglaise, les pauvres diables. Il leur reste pourtant une ressource. Le barreau touche par plus d’un côté à la littérature. Lord Coke, un célèbre légiste anglais, se vantait de ce qu’un de ses ouvrages de droit contenait plus de cent citations tirées des anciens poètes. Aujourd’hui encore les inns of court fournissent des collaborateurs distingués aux journaux, aux revues et aux magazines de Londres. Quelques-uns des romanciers célèbres sont eux-mêmes des transfuges de la profession ; ils ont vécu pendant un temps dans les antres du droit, et c’est souvent parmi eux que les institutions ou les usages de la jurisprudence anglaise trouvent les plus amers critiques. Faut-il toujours les croire sur parole ? Ils en veulent à la loi de leur avoir dérobé quelques-unes des belles années de la jeunesse. Personne à coup sûr ne les blâmera d’avoir abandonné cette âpre maîtresse pour la littérature, dont ils sont à présent les favoris ; mais encore doit-on se défier du tour que prennent quelquefois les premières illusions déçues. Ceux au contraire parmi les jeunes barristers qui, armés d’une grande