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force de caractère, ont su résister d’un côté aux séductions d’un perfide succès, de l’autre aux rigueurs d’un laborieux début, recueillent plus tard une belle mo&son. Nulle part l’avocat n’est plus libéralement récompensé de ses peines qu’en Angleterre. Sa fortune s’accroît chaque jour avec sa renommée. Debout avant l’aube, il veille aux heures où d’autres dorment, sa vie est dévorée par le travail, les luttes de la parole et les devoirs de sa profession ; mais que de brillantes perspectives ouvertes devant lui ! Au bout d’une quinzaine d’années de pratique et de succès oratoires, quelques membres du barreau anglais visent à un siège dans le parlement ; d’autres enlèvent d’assaut, par leur mérite généralement reconnu, les hautes situations de la magistrature. Seul, l’avocat est appelé au-delà du détroit à remplir les fonctions de juge. C’est sur ce nouveau terrain que nous devons le suivre, si nous tenons à étudier les diverses institutions de la loi chez nos voisins.


II

Les tribunaux suprêmes de l’Angleterre siègent dans un édifice attenant à la maison du parlement, et où ils occupent des salles qui se succèdent les unes aux autres au nord de Westminster-hall. Ainsi que nous l’avons indiqué, ils se divisent en deux branches, les cours de droit commun, common law, et les cours d’équité[1]. Les cours de droit commun sont au nombre de trois : la cour du banc de la reine (court of queen’s bench), la cour des plaids communs (court of common pleas), et la cour de l’échiquier (court of exchequer). Dans les doux premières, les juges portent le nom de justices ; dans la dernière, ils prennent le titre de barons. Autrefois, durant l’enfance de la société anglaise, les fonctions judiciaires n’étaient point séparées de l’autorité royale. L’aula regis se tenait dans le palais du monarque. La cour du banc de la reine (ou du roi) est celle où aujourd’hui même se conserve le mieux la trace de cette ancienne confusion des pouvoirs. Le souverain est censé y assister en personne, et les writs (lettres de comparution adressées aux témoins) portent que l’affaire sera entendue coram rege ipso. En dépit de cette fiction et de ces formes surannées, le droit de rendre la justice se montre profondément distinct de la prérogative

  1. Pour qu’on saisisse bien la valeur de cette distinction, il est utile de rappeler que les anciens tribunaux anglais se croyaient tenus d’obéir strictement à la lettre de la loi commune, même dans les cas où celle-ci blessait le sentiment de la justice. Eu pareille circonstance, la partie lésée en appelait volontiers au chancelier du roi, qui, intervenant au nom de la couronne, modifiait le jugement. Plus tard fut instituée la cour de chancellerie, qui devait tempérer la loi par l’équité, c’est-à-dire par les principes éternels du droit et les inspirations de la conscience humaine. Aujourd’hui pourtant ces distinctions se trouvent à peu près effacées dans la pratique.