Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/689

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une idée de la justice des petty sessions d’après les exemples que nous venons de citer. Ce serait également une erreur de croire que la majorité des juges de paix appartient à l’aristocratie ; la plupart d’entre eux sortent au contraire de la classe moyenne, et, à part un très petit nombre de comtés où d’anciens préjugés féodaux se sont perpétués, ils rendent à la société anglaise de véritables services. On comprend que nos voisins y regardent à deux fois avant de porter la main sur une magistrature nationale et désintéressée qui sort des entrailles mêmes du pays.

Il existe encore de l’autre côté de la Manche quelques tribunaux investis d’une juridiction spéciale, et parmi lesquels il faut désigner la cour du divorce et des testamens, court of probate and divorce[1], la cour des banqueroutes, court of bankruptey, où les juges prennent le nom de commissioners, et la cour ecclésiastique, court of arches, qui fut appelée, dans l’affaire des Essays and Reviews, à décider sur certains points d’orthodoxie protestante ; mais ces branches de la justice n’intéressent guère que les légistes, et il serait inutile de s’y arrêter : mieux vaut, je crois, indiquer les principaux traits qui caractérisent la magistrature anglaise.

Les juges sont inamovibles ; mais nos voisins ne considèrent nullement cette condition comme une garantie suffisante d’indépendance. Il importe assez peu qu’un magistrat soit nommé à vie, si le désir de changer son siège pour un meilleur le porte à courtiser dans l’exercice de ses fonctions les bonnes grâces du pouvoir. On peut dire qu’en général il n’y a point d’avancement pour les représentans de la loi en Angleterre. Il est, par exemple, très rare qu’un juge puîné (assesseur) succède au président d’un tribunal. Presque toujours l’avocat passe des rangs du barreau à la position qu’il doit occuper pour toute la vie dans la magistrature. Comme nous dirions chez nous, il se case selon ses goûts, ses talens ou son ambition. C’est ainsi qu’on voit tous les jours des barristers sauter de plain-pied aux gracies les plus élevés de la cour (bench). N’étant point obligés de suivre humblement la filière pour parvenir aux degrés supérieurs, et n’ayant rien à attendre des faveurs de tel ou tel régime, les juges anglais se trouvent aisément à l’abri de certaines tentations. A quoi leur servirait de faire du zèle ? Indépendans du souverain et de ses ministres, c’est leur conscience seule qu’ils ont intérêt à consulter. Après tout, les interprètes de la loi ne valent sans doute pas mieux qu’ailleurs en Angleterre ; ils sont hommes, et, comme tels, sujets à beaucoup de faiblesses ; mais ici du moins

  1. Fondée en 1857 et présidée par un juge qui occupe un des premiers rangs de la magistrature, cette cour a beaucoup fait parler d’elle dans ces derniers temps. Attaquée par quelques membres de la haute église, elle est d’un autre côté énergiquement défendue par l’opinion publique.