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difficile d’arriver à une entente[1]. Cependant l’assemblée demeurait depuis trois semaines dans une inaction absolue, consacrant ses séances à des détails insignifians, et résolue d’attendre, avant de délibérer sur les affaires sérieuses, les remontrances dont la rédaction se préparait au parlement. Les choses en étaient là lorsque parvint à Rennes, dans la soirée du 7 janvier 1757, l’annonce de l’attentat de Damiens. L’émotion fut profonde et l’indignation générale. Les états se réunirent aussitôt et décidèrent qu’une députation des trois ordres irait porter à Versailles l’expression de leur douleur et de leur inaltérable fidélité. L’occasion parut favorable au commandant pour aborder toutes les questions délicates à la fois. En remerciant le lendemain l’assemblée du témoignage qu’elle venait de donner de son amour pour le roi, il lui déclara qu’elle aurait bientôt à fournir une autre preuve de son dévouement et de son patriotisme en s’associant, comme l’avait déjà fait le royaume tout entier, aux charges nouvelles qu’une guerre commandée par le soin des intérêts français avait rendues inévitables. On était au début de la guerre de sept ans. Un silence glacial accueillit ces paroles. Il prouva au duc d’Aiguillon qu’il avait trop compté sur les sentimens de l’assemblée, et que derrière l’impétueux bataillon des gentilshommes s’était massée la réserve impassible des magistrats.

D’actifs, mais inutiles pourparlers s’engagèrent durant plusieurs jours avec le commandant de la province ; ces pourparlers n’aboutissant point, il se résolut enfin à parler de l’abonnement, dont les états prenaient le plus grand soin de ne plus prononcer le nom. L’abonnement proposé à l’assemblée pour les deux vingtièmes fut cette fois accueilli comme un piège, parce qu’elle s’attendait, non sans motifs, à l’acheter à un prix exorbitant. Moins violent dans ses manifestations, le tiers n’était guère moins décidé contre le principe de la nouvelle imposition. Plusieurs jours se passèrent donc dans un désordre d’où il ne semblait guère possible de faire sortir une résolution quelconque. L’usage des pernoctations était devenu quotidien, si nous en croyons le duc d’Aiguillon, à qui j’emprunte, sans en garantir la vérité, le tableau de mœurs suivant, qui rappelle les habitudes anglaises au temps des Fox et des Sheridan.

« L’assemblée s’abandonnait sans réserve au tumulte le plus indécent. La plus grande partie des membres de la noblesse, sortis pour aller dîner, revenaient la tête échauffée. Les conseillers du parlement qui conduisaient la cabale se glissaient dans la salle à la faveur de l’obscurité, escortés d’avocats et de procureurs qui leur étaient dévoués, les uns

  1. Les états avaient antérieurement proposé 600,000 livres pour un vingtième, ce qui faisait 1,800,000 pour les deux. Le contrôleur-général de Moras exigeait 1,400,000 livres pour chacun des vingtièmes, plus les 2 sous pour livre, c’est-à-dire plus de 3 millions.