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A une situation violente succéda tout à coup la plus affectueuse confiance. Après deux mois de débats, M. d’Aiguillon put clore les états en recevant des trois ordres les plus chaleureux remercîmens, et sans que rien laissât pressentir ni les obstacles qui entraveraient son administration, ni les haines qui devaient tourmenter sa vie. La fortune lui gardait une dernière faveur, car elle associa son nom à une glorieuse journée dans une guerre où les échecs furent encore pour la France plus humilians que désastreux. Tandis que dans l’été de 1758 le commandant de la province en visitait les côtes, une formidable escadre anglaise cingla vers celles de Normandie, où elle s’empara de Cherbourg, dont elle combla le bassin et rasa les fortifications. Il n’y avait point à douter qu’un armement aussi dispendieux ne fût destiné à des opérations plus sérieuses encore, et toutes les conjectures concordaient à faire penser que l’ennemi se proposait ou d’incendier le port de Brest, dépôt des restes précieux de notre marine, ou de tenter un coup de main sur Lorient, qui renfermait les riches magasins de notre compagnie des Indes. Toutefois, pendant que le duc d’Aiguillon était à Brest, la flotte anglaise parut devant Saint-Malo, et détruisit sans obstacle la plus grande partie des navires marchands ancrés entre cette ville et Saint-Servan. Hésitant à attaquer la place devant l’attitude résolue des Malouins, renforcés par la levée en masse des populations rurales, l’escadre reprit la mer ; mais elle ne tarda point à reparaître dans la baie de Cancale, où elle mit à terre environ 16,000 hommes. Les Anglais s’établirent en vue de la mer et sous la protection de leur flotte dans le bourg de Matignon, où ils formèrent un camp retranché. Néanmoins dans la première semaine de septembre le duc d’Aiguillon, après avoir mis en état de défense les côtes de l’Océan, avait pu réunir à quelques lieues de l’ennemi toutes les forces régulières que possédait alors la province. C’étaient les restes de quelques régimens défaits à Rosbach, et le chiffre total n’atteignait pas 6,000 hommes. Un tel effectif aurait été insuffisant pour rejeter à la mer un corps d’armée appuyé sur une flotte excellente et retranché dans une position très forte ; mais autour du commandant de la province étaient venues se grouper des compagnies de gardes-côtes conduites par les gentilshommes du littoral et des masses de paysans prêts à se jeter sur l’Anglais avec leur furie traditionnelle. Appuyé par cette population héroïque, le duc d’Aiguillon prit la résolution de forcer le camp de Matignon. Les ordres nombreux accumulés dans ses mémoires[1] ne peuvent laisser aucun doute ni sur son parti très arrêté de déloger l’ennemi, ni sur le soin minutieux avec lequel il prépara la

  1. Journal d’Aiguillon, t. Ier, p. 453 à 510.