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sés à prendre fort au sérieux le sens métaphysique de la théorie des idées, les regardant comme de pures suppositions qui n’ont et ne peuvent avoir l’appui d’aucune expérience. Ils ne sont pas les seuls qui, du point de vue de la philosophie des sciences naturelles, aient jugé Platon. Avant eux, l’auteur d’un ouvrage écrit avec esprit, l’Histoire biographique de la Philosophie[1], M. Lewes, avait exposé avec une clarté piquante la théorie des idées. Suivant lui, elles sont, dans la République, présentées comme l’ouvrage de Dieu même imité par les hommes, dans le Timée, comme des choses éternelles et des modèles d’après lesquels l’auteur du monde a fait succéder l’ordre au désordre. Dans les deux cas, les idées ne sont à ses yeux que les idées de genre et d’espèce, qui doivent être (et non pas les individus) les objets de la philosophie. Ce n’est pas seulement le positivisme anglais qu’il faut consulter. M. Ferrier, métaphysicien qui ne s’était proposé rien moins que de donner à l’Ecosse une nouvelle philosophie, réduit les idées de Platon aux idées prises dans le sens le plus simple, le plus ordinaire. Ainsi comprises, elles sont nécessaires à l’exercice de la raison, et l’esprit humain ne peut s’en passer. Ce n’est pas la science seulement, c’est la connaissance en général, c’est la pensée qui a besoin des idées, car sans la généralisation nous ne pourrions sortir de l’isolement de chaque sensation particulière. Les caractères essentiels des idées sont la nécessité et l’universalité, et c’est là le fond de la théorie platonicienne réduite ainsi à une observation psychologique très bien exposée d’ailleurs par M. Ferrier[2]; mais il me semble que le docteur Archer Butler, à qui l’on doit des leçons remarquables sur l’histoire de la philosophie ancienne, s’est approché davantage du sens de Platon. S’attachant à montrer que son idéalisme tout spécial s’écarte moins qu’on ne croit des opinions communes et de nos croyances naturelles, il a demandé si c’était une hypothèse bien hardie, une absurdité paradoxale que d’admettre que l’ensemble de notre connaissance supposât des lois réelles et éternelles de la nature des choses, et que ces lois fussent empreintes dans les qualités et les propriétés des objets dont la perception nous révèle l’existence. De là qu’y aurait-il d’étrange à conclure que ces lois sont quelque chose de différent et de celui qui les a imprimées à la création, et de l’homme qui les induit et les conçoit comme indépendantes de lai? Pourquoi alors ne dirait-on pas qu’elles constituent ainsi ce qu’il est permis d’appeler le monde intelligible dont le monde sensible n’est que la copie? Et l’on pres-

  1. The biographical history of Philosophy, by G. H. Lewes; Londres 1854.
  2. Lectures on Greek philosophy, by G. F. Ferrier; Londres et Edimbourg, t. Ire.