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bats qui ont eu lieu sur la presse au temps de la restauration, n’a reconnu et proclamé avec plus de bonne foi, de sagacité, de profondeur, de puissance de langage, les principes vrais de la liberté de la presse que Royer-Collard. « Messieurs, disait-il dans une de ces occasions où il semblait prévoir le sort funeste qui nous était destiné, la tyrannie n’est autre chose que l’arbitraire en permanence. De tous les arbitraires, celui que je voudrais le moins confier à un pouvoir permanent, c’est l’arbitraire de la presse. La définition de l’abus de la presse par la provocation indirecte constitue l’arbitraire illimité, l’arbitraire sans rivages. Ce que je dis de la provocation indirecte, j’aurais pu le dire de la calomnie et de l’injure dans l’ordre politique. Directes, on les évite ; indirectes, elles ne sont qu’indéfinissables : la loi n’atteint la licence qu’en frappant la liberté. Il faut reconnaître de bonne foi qu’il n’y a point de lois pénales de la presse, par conséquent point de répression légale, point de jugemens proprement dits ; car, messieurs, il ne suffit pas qu’il y ait des juges pour qu’il y ait des jugemens. L’arbitraire ne change pas de nature pour être couché dans une sentence ; autrement les lois sont superflues. Il n’y a de vrais jugemens que ceux qui ont écrits d’avance dans les lois. Faute de ce type, les jugemens, ou ce qu’on appelle ainsi, ne sont que des arbitres guidés par la lumière naturelle de l’équité et de la raison. S’ils s’attribuent un autre caractère, ils usurpent la puissance législative, à cette singulière condition que, créant la loi dans chaque cas et pour chaque cas auquel ils l’appliquent, ils lui donnent toujours un effet rétroactif. » Voilà la philosophie politique française écrite en style lapidaire : ce sont les tables de la loi. Nous recommandons ces hautes et saines doctrines aux méditations du ministre de l’intérieur, M. Pinard, qui vise aux théories générales et à la gravité du langage.

Il ne vaut évidemment point la peine pour la presse périodique de se jouer aux équivoques de l’arbitraire. Il faut donc nous priver de l’honneur de discuter les opinions de M. Pinard et renoncer au plaisir de remercier M. Pelletan, M. Jules Simon et M. Thiers des bons et éloquens services qu’ils viennent de rendre à la plus précieuse et la plus efficace des libertés publiques. Au surplus, les écrivains qui croiraient téméraire toute appréciation des débats des chambres trouveront dans notre histoire depuis 1789 d’amples élémens de compensation et de consolation. Il s’est établi depuis quelque temps deux courans de publications historiques que l’on accueille avec une curiosité intelligente, avec sympathie, parce qu’elles nous apportent des lumières sur des caractères notables de notre temps ; c’est une masse de documens historiques sur les deux derniers règnes de l’ancien régime et sur la révolution française. La question de la liberté de la presse est fortement éclairée par cette double histoire expérimentale. La première nous fait voir en traits honteux les progrès rapides de la décomposition politique et morale d’une société et