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l’instinct national. Toutes les fois que les accidens du terrain ou d’autres circonstances ne lui permettaient pas de livrer une bataille défensive, une bataille anglaise, il se retirait sans combattre. De là ses succès.

Or le soldat autrichien tient beaucoup plus de l’Anglais que du Français ; l’immobilité lui va mieux que le mouvement, la défensive que l’offensive, et jamais il n’a été bien commandé sans que ses chefs tinssent grand compte chez lui de cette disposition. On ne le fit pas dans cette campagne. Parce qu’on avait vu à Magenta et à Solferino réussir les impétueuses charges de notre infanterie, on se figura que le même système d’attaque aurait le même résultat, et l’ordre fut donné d’aborder à la baïonnette les régimens prussiens. Cet ordre fut héroïquement exécuté. On vit les régimens autrichiens, leurs braves officiers en tête, se précipiter comme des fous contre l’infanterie prussienne ; celle-ci, étonnée d’abord, reprendre bientôt son sang-froid, et comprendre à merveille que ces charges insensées n’avaient d’autre effet que de lui fournir l’occasion de tirer impunément de son redoutable fusil le parti le plus meurtrier. Le carnage, on le conçoit, dans chacune de ces attaques dut être épouvantable, et c’est avec des troupes affaiblies par de telles pertes, n’ayant jamais vu l’ennemi, sauf à Trautenau, que pour essuyer des échecs, — avec des troupes fatiguées en outre par les marches et contre-marches, suite nécessaire d’une guerre défensive, qu’on allait livrer la bataille de Sadowa contre les forces réunies d’un adversaire à qui tout avait réussi jusque-là, même ses fautes. On connaît le résultat, et l’immense désastre qui frappa l’Autriche dans la journée du à juillet 1866.

La situation de l’armée de Benedeck n’a pas été là sans analogie avec celle de l’armée française à Waterloo. Elle avait devant elle deux armées, celle du prince Frédéric-Charles et celle du prince royal ; mais, bien que ces armées fussent en communication et que leur action combinée eût été arrangée dans la nuit qui précéda la bataille, le général autrichien pouvait espérer battre le prince Frédéric-Charles avant l’arrivée du prince royal, qui avait une longue route à parcourir, comme Napoléon avait espéré battre Wellington avant l’arrivée de Blücher.

Jusqu’à une heure de l’après-midi en effet, toutes les forces du prince Frédéric-Charles étaient venues se briser contre la bravoure des troupes autrichiennes. Celles-ci étaient établies dans des bois où les hommes s’embusquaient derrière les arbres, de manière à neutraliser l’avantage du fusil à aiguille. Ces bois étaient flanqués par leur admirable artillerie, une des meilleures de l’Europe, à l’absence de laquelle nos ennemis d’alors attribuent la perte de la bataille de Solferino. Placés dans ces conditions avantageuses, à