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le taïcoun, pour ménager des amours-propres aussi violemment froissés, venait avec déférence au-devant des daïmios entrant dans sa capitale, et descendait de cheval pour les recevoir sur la colline du Gottenyama ; mais nous savons aussi combien, malgré toutes ces formes extérieures de politesse, le levain de la haine germait dans le cœur de l’aristocratie. La méfiance que l’on remarque encore entre les officiers de différens princes, lorsqu’ils se rencontrent à Yeddo, est une conséquence de cette situation.

Aujourd’hui le pacte est rompu ; depuis la fin de l’année 1862, les dix-huit daïmios indépendans ont quitté Yeddo, donnant pour prétexte qu’ils ne pouvaient vivre à côté d’étrangers, d’ennemis dont ils n’avaient pas autorisé la présence, et qui devaient, aux termes des lois de l’empire, être expulsés du pays. Ainsi notre arrivée est venue donner le signal d’une désobéissance qui était dans tous les cœurs. Réunis aux pieds de l’empereur, l’accablant de doléances et surtout de récriminations contre leur ennemi juré, le taïcoun, les daïmios ont réussi d’abord à faire lancer l’ordre d’expulsion qui nous a été communiqué en 1863, puis à exciter contre le pouvoir de Yeddo toutes les méfiances et les colères du mikado. Au bout de deux ans de luttes, insulté par le prince de Satzouma, traité d’imposteur par le prince de Nagato, seul d’ailleurs dans sa capitale, privé des avantages commerciaux que lui donnait la présence de la noblesse, ruiné comme autorité politique par la conspiration permanente établie à Kioto, craignant peut-être une disgrâce, une destitution, le taïcoun est parti, emmenant ministres et armée, et cherchant à nous tromper en annonçant bruyamment des projets guerriers contre le prince de Nagato. « Le gouvernement entier se déplace, qu’on ne s’y trompe pas, et nous serons obligés d’aller le chercher, » écrivait en mai 1865 un diplomate européen à son gouvernement, alors que la masse croyait sincèrement à une simple et courte expédition de guerre.

En apparence nous avons donc à lutter contre une noblesse pour laquelle notre séjour au Japon est une insulte : c’est sous cet aspect que la question se présente encore en Europe. Voyons si l’expérience de ces dernières années ne renverse pas ces assertions. Deux fois seulement la force des événemens nous a mis en face des princes de l’empire et les armes à la main, à Kagosima devant le prince de Satzouma, à Simonoseki devant le prince de Nagato. La lutte terminée, nous n’avons trouvé dans l’attitude des deux princes rien de cette méfiance farouche à laquelle nous nous attendions. Les agens du prince de Satzouma, en venant volontairement payer dans les mains du ministre d’Angleterre l’indemnité que l’escadre n’avait pu d’abord obtenir par la force, témoignaient de leur désir d’entrer