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crimes dont leurs officiers avaient été victimes, ont su néanmoins fermer l’oreille à des ardeurs précipitées et repousser loin d’eux la responsabilité de représailles sanglantes et moins glorieuses que faciles.

A notre point de vue européen, la question pour pénétrer dans le pays se résume en un traité avec l’autorité suprême, le mikado ; mais on s’aperçoit bien vite des difficultés que présente une solution aussi simple en apparence. Pour aller à Kioto, il faut la guerre, et, le succès obtenu, pouvons-nous penser qu’à moins de vouloir renverser brusquement des usages séculaires nous soyons en droit d’obtenir auprès d’une autorité aussi mystérieuse une introduction qui, malgré toutes les formes extérieures de respect, sera une injure pour le pays ? Pouvons-nous espérer voir des relations s’établir entre la personne sacrée, presque divine de l’empereur et les représentans européens, que rien ne distingue de la foule et auxquels nous ne rendons aucun de ces signes apparens de déférence qui marquent au Japon la position des personnes ? Pour ouvrir le Japon, il y a un moyen aussi sûr que les relations diplomatiques, le commerce. Le coin est enfoncé depuis huit ans, il ne tient qu’à nous de frapper de façon à faire brèche. D’obstacles, il n’y en a point d’insurmontables ; du moins l’attitude prise par les princes de Satzouma et de Nagato nous donne-t-elle lieu de le croire et nous fait-elle supposer que, si les hasards nous rapprochaient d’autres daïmios, nous trouverions chez beaucoup d’entre eux les mêmes dispositions. Afin de nous en assurer, il nous faut nous-mêmes tâter le terrain. Les renseignemens que nous retirerons des indigènes ne nous fourniront aucune indication sérieuse ; placés en face d’une population d’ouvriers et de paysans, nous n’apprendrons rien de ce qui pourrait nous intéresser, et l’insuccès qui a couronné nos efforts depuis que nous habitons le pays en est la meilleure preuve. Nous en serons encore dans dix ans à ne connaître de la cour du mikado que ces dessins populaires représentant l’empereur entouré de douze femmes habillées de rouge, les cheveux dénoués sur les épaules, limite extrême des notions que possède la classe bourgeoise sur cet auguste personnage. N’est-il pas plus probable qu’en créant entre les divers princes un antagonisme d’influence nous devons arriver, sinon à découvrir la vérité, au moins à recueillir les moyens les plus sûrs pour la chercher ? Cet antagonisme, le commerce seul peut nous le procurer sans danger.

Il semble de prime abord qu’un pays qui a vécu à l’écart pendant des siècles peut se passer de nous. La vue du sol, la multiplicité et la variété des produits confirment cette opinion, et l’on peut dire avec justesse que, si le Japon n’avait pas goûté de notre