Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/890

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

richesse de ses aptitudes, mais il trahit ce qui lui manque, l’esprit d’application, et ce serait rendre service aux Japonais que de remplacer les éloges exagérés qu’on leur adresse souvent sur leur promptitude intuitive par quelques leçons sévères sur leur légèreté. Maintenant ils s’aperçoivent que, faute de précautions, ils usent très vite, et que, faute d’études, ils réparent mal ; après s’être dispensés de notre expérience pour la conduite de leurs machines, ils réclament nos lumières pour les entretenir.

Ainsi le résultat de nos relations avec le Japon nous montre que deux transformations se sont opérées par le fait de notre présence dans le pays. L’une, légère encore, qui touche à l’existence matérielle de l’indigène, se traduit par une extension de commerce dont nous bénéficions, et s’accuse fatalement par le débordement de la corruption sur les points où nous sommes légalement admis ; l’autre, considérable, qui renouvelle de fond en comble les moyens de défense et d’attaque et nous fournit également de grands débouchés commerciaux, se traduit par un excès de précautions, de mesures défensives, d’arméniens, par un état de trouble et toutes les apparences de guerres civiles prochaines. Comme science et comme industrie particulière, nous n’avons rien changé, rien introduit, et nous n’avons rien emprunté. En politique, l’édifice qui se dresse devant nous est presque aussi mystérieux que par le passé. Comment prévoir l’avenir du Japon ? Cette féodalité qui étreint ce magnifique pays, qui en retire de si beaux produits au point de vue de l’industrie et de l’agriculture, doit-elle se courber prochainement sous la main de l’un de ses chefs ? Si nous avons eu cette illusion en 1863, alors qu’un mot du taïcoun pouvait lier sa cause à la nôtre, l’expérience des deux dernières années et surtout l’impuissance du souverain de Yeddo dans sa lutte contre le prince rebelle de Nagato sont aujourd’hui des indices suffisans pour nous donner l’assurance contraire. Notre présence, loin d’amener l’unité, a semé la désunion. L’autorité taïcounale, affaiblie, détruite pour ainsi dire par le départ des princes de Yeddo en 1862, en est réduite à s’abriter à Kioto derrière le trône de l’empereur, et l’on entend quelquefois parler de la rupture du lien féodal par la séparation des daïmios de l’île de Kiusiu, qui sont complètement à l’abri d’une menace de guerre, et ne tiennent, comme les autres princes, à l’état général du pays que par leur respect tout de principe pour la personne du mikado. Si le système féodal ne doit pas périr dans des luttes armées entre daïmios, peut-il disparaître dans une convulsion sociale, et les idées modernes que l’Europe apporte avec elle seront-elles le levier destiné à changer l’état des choses ? Ici le doute n’est plus possible, notre système social n’a pas le