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décidément aliéné la Russie. On n’a pas oublié l’étrange scène où le prince Menschikof, après la visite d’obligation au grand-vizir, invité par l’introducteur des ambassadeurs à se rendre selon l’usage dans l’appartement du ministre des affaires étrangères, où de grands préparatifs avaient été faits pour le recevoir, se retira fièrement sans y entrer. Cet affront décida de la retraite de Fuad sans toutefois le réduire à l’inaction. En 1854, il était commissaire auprès d’Omer-Pacha, puis bientôt après envoyé en Épire pour étouffer dès le début l’agitation qui régnait dans cette province, et lui-même, en homme d’expédition, mettait un jour le sabre à la main pour dissiper un gros d’insurgés.

Tombés à quelques jours d’intervalle, on les vit à la fin de cette même année rentrer ensemble dans le gouvernement. Le conseil du tanzimat ayant été reconstitué, Aali en fut nommé président en même temps que Fuad était désigné pour en faire partie, et, tandis que le premier redevenait grand-vizir en 1855, le second, élevé au rang de pacha, occupait de nouveau le ministère des affaires étrangères. Je n’ai pas à rappeler en détail la part prise par eux aux négociations de cette époque, ni à relever les qualités universellement reconnues dont Aali fit preuve aux conférences de Vienne et au congrès de Paris. Il signa le traité de Paris avec quelque regret, dit-on, et il n’est pas difficile de comprendre la cause de ses scrupules : c’était l’article 24, relatif à la future organisation des provinces moldo-valaques. Aali avait combattu d’autant plus énergiquement cet article qu’il voyait dans la réunion de ces provinces, rendue inévitable, une source d’affaiblissement pour l’empire. L’événement n’a point trompé sa pénétration, comme le prouvent les longs tiraillemens entre les puissances occidentales et le gouvernement turc qui ont si péniblement occupé la Porte pendant plusieurs années. L’acte le plus solennel auquel Aali ait alors attaché son nom est le hatti-humayoun du 18 février 1856, complément ou, si l’on veut, répétition, sous une autre forme du hatti-chérif de Gul-Hané. Le traité de Paris a reconnu, il est vrai, « la haute valeur » de cette charte nouvelle ; mais elle a précisément été promulguée, l’idée en a été conçue, les termes en ont été calculés pour donner lieu à cette déclaration. Il s’agissait, à la veille d’un congrès d’où devait sortir la paix, de couper court aux plaintes les plus fondées de la Russie et de lui ôter les plus spécieux argumens qu’elle aurait eu à faire valoir. Cet acte, comme celui de 1839, contient l’engagement d’une régénération qui ne s’improvise pas, et dont la demande pressante est, comme Aali le faisait habilement ressortir dans un mémoire adressé au cabinet de Saint-James, en contradiction directe avec la volonté manifestée par les puissances occidentales d’assurer la durée