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membres du grand-conseil de Damas arrêtés en masse, et le gouverneur, Achmet-Pacha, ex-maréchal de l’armée, homme éclairé, que Fuad comptait parmi ses amis, était lui-même mis à mort. Le moyen de révoquer en doute un bon vouloir manifesté par de tels actes ? Mais en même temps les principaux coupables étaient dirigés sur Beyrouth pour être conduits à Constantinople, ce qui était pour eux une garantie d’impunité.

Fuad était arrivé en Syrie longtemps avant le débarquement de nos troupes.. On raconte que, lorsque le commandant de l’expédition française et lui se rencontrèrent pour la première fois dans une rue de Beyrouth, Fuad, qui montait un magnifique cheval, l’offrit avec une courtoisie tout orientale au général français, et eut l’art de le faire accepter en manière de salutation. Dès que M. de Beaufort d’Hautpoul eut résolu, contre le gré du ministre ottoman, d’aller chercher les coupables jusque dans les gorges du Liban, Fuad prit la tête de l’expédition, et, en avance d’une journée sur notre corps d’armée, il se trouvait toujours avoir fait la veille ce que le commandant en chef avait résolu de faire le lendemain ; il faisait même plus, car il laissait passer les Druses entre ses lignes, et 3,000 des plus compromis réussirent ainsi à se réfugier dans le Hauran. L’expédition n’eut pas d’autre résultat ; mais c’est surtout dans la question si longuement débattue des indemnités qu’il montra son savoir-faire. A force de marchander, il eut l’art d’arracher à la lassitude ce qu’il ne pouvait obtenir de la conviction. Le consul de France, qui demandait 150 millions de piastres, la commission, qui voulait que l’indemnité fût levée en un an sur les Turcs de Damas et des villages environnans, furent vaincus l’un après l’autre. Fuad offrait 75 millions de piastres et proposait qu’on traitât à l’amiable avec le gouvernement turc ; ainsi fut-il fait. De cette somme, combien a-t-il été payé ? Combien a servi à réparer les désastres essuyés ? Combien s’est arrêté en chemin ? Le ministre turc avait fait de grandes dépenses ; il ne parut pas que sa fortune, déjà considérable, en eût souffert.

Depuis lors un nouveau sultan, le trente-deuxième de la dynastie d’Othman, est monté sur le trône, et son caractère est jugé diversement ; il semble toutefois, autant qu’on peut le pressentir à travers le mystère dont ces existences sont entourées, n’avoir pas échappé à la destinée ordinaire des sultans, suite d’un régime qui condamne les souverains de la Turquie à être le jouet de leurs passions et de leur entourage. Il parut après son avènement avoir gardé quelque rancune contre ceux qui avaient fait échouer le complot de 1859. Cependant Aali et Fuad, éloignés à plusieurs reprises du pouvoir par le triomphe momentané de quelque secrète hostilité, y