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défendrait probablement aujourd’hui l’enseignement classique avec autant d’ardeur qu’il le combattit ; juste et sensé, il honorerait les modestes instituteurs de la démocratie victorieuse autant qu’il attaqua les frères ignorantins, coupables du crime, alors capital à ses yeux, d’enseigner à lire au peuple. Quelle radicale transformation surtout les événemens auxquels il concourut n’auraient-ils point opérée dans ses convictions politiques ! Ardemment dévoué et aux vieilles institutions aristocratiques de sa province et à cette royauté française qu’il eût couverte de son corps, s’il avait pu soupçonner la portée de ses propres coups, La Chalotais aurait vu s’abîmer la Bretagne avec la monarchie à la suite d’une victoire qu’il prépara par ses longs efforts. Survivant donc à ses espérances comme à ses haines, il se présenterait les mains vides devant l’histoire, s’il n’avait à évoquer un souvenir immortel, celui de sa lutte contre l’arbitraire dans ses procédés les plus odieux et contre la calomnie dans ses raffinemens les plus infâmes. Si le polémiste a perdu de sa puissance par l’apaisement des passions, si les théories de l’écrivain n’ont pas supporté l’épreuve de l’expérience, le noble prisonnier dont le « cure-dent gravait pour l’immortalité » des protestations d’une beauté antique a grandi aux yeux des nouvelles générations, nourries dans le respect scrupuleux des lois qui couvrent la liberté des citoyens, et sa mémoire est aujourd’hui plus honorée par les coups qu’il a reçus que par ceux qu’il a portés.

Né dans la première année du XVIIIe siècle, Louis-René de Caradeuc de La Chalotais occupa dès l’âge de vingt-sept ans au parlement de sa province la position d’avocat-général, à laquelle l’avait préparé le concours simultané de la naissance, de la fortune et de l’éducation. Les mêmes conditions lui ménagèrent, vingt ans plus tard, le siège de procureur-général, charge qui, dans le singulier mécanisme de cette société, réunissait au caractère d’un emploi administratif celui d’une sorte de propriété inviolable. Un écrit sur le commerce des grains où respirait une foi énergique dans les bienfaits de la liberté commerciale avait, en 1754, attiré pour la première fois l’attention publique sur ce magistrat, dont la pensée, toujours grave, contrastait avec une élocution très vive et une parole souvent caustique. Le procureur-général de Rennes avait des besoins d’esprit et des aspirations qui dépassaient la sphère où le circonscrivait l’accomplissement habituel de devoirs importans, mais monotones. Il se montrait à Paris aussi souvent que le lui permettaient ses fonctions, s’efforçant de se rapprocher de ces maîtres de l’opinion qu’il ne contemplait encore que de loin, mais au niveau desquels la fortune lui donna tout à coup le moyen de se placer. La guerre contre les jésuites venait de commencer dans toute