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Perrusseau. Ce fut dans cet intervalle que M. de La Chalotais, secrètement d’accord avec le duc de Choiseul, et sur la vive insistance de ce ministre, intervint pour porter au nom du roi le coup de grâce à la société de Jésus. Le procureur-général de Rennes, se fit donner par sa cour l’injonction de lui rendre compte des constitutions de la société, dont le supérieur du collège de Rennes reçut ordre d’apporter le texte au greffe du parlement. Dans la première quinzaine de décembre, quatre séances furent consacrées à la lecture du volumineux réquisitoire où l’œuvre fondée par saint Ignace est exposée dans ses développemens historiques, et où l’auteur s’efforce d’en juger la portée sociale d’après des textes empruntés à certains docteurs accrédités dans leur temps, mais à peu près oubliés dans celui où il les faisait reparaître. Les Comptes-rendus sont une œuvre littéraire d’une forme vraiment magistrale. C’est sous le couvert d’une modération impitoyable que La Chalotais, tout en rendant hommage aux vertus personnelles des membres de la société, réclame contre eux une sorte de mise hors la loi avec la confiscation de leurs propriétés et la perspective éventuelle de l’exil et de l’incarcération. Un tel écrit, sorti de la plume d’un magistrat qui entendait demeurer dans les strictes limites de l’orthodoxie en se disant meilleur catholique que le pape, permit à l’école philosophique de pénétrer au cœur de la place qu’il s’agissait d’emporter moins par force que par surprise. « Votre réquisitoire, lui écrivait Voltaire, se répand et s’imprime dans toute l’Europe avec le succès que mérite le seul ouvrage philosophique qui soit jamais sorti du barreau[1]. »

Une pareille popularité pouvait suffire à coup sûr pour protéger les Comptes-rendus contre toutes les attaques de la critique ; mais le parlement de Paris n’en jugea point ainsi, préoccupé qu’il était de placer au-dessus de toute discussion l’écrit qui venait protéger si opportunément le dispositif de ses arrêts. S’adressant dans leur malheur à la publicité, cette ressource suprême de tous les opprimés, lors même qu’ils auraient commencé par être oppresseurs, les jésuites avaient fait imprimer diverses réponses à M. de La Chalotais afin d’éclairer l’opinion. Un écrit attribué au père Griffet se fit remarquer entre tous par la solidité du savoir et la dédaigneuse élégance de sa rédaction. L’auteur s’efforçait d’établir que le procureur-général de Rennes avait tiré de textes qu’il connaissait fort mal des conséquences pratiques que ceux-ci ne comportaient en aucune façon, et qu’en matière de tyrannicide il avait attribué aux jésuites français des doctrines fort dangereuses

  1. Lettre à M. de La Chalotais du 12 mai 1762.