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domination, c’était une illusion généreuse, mais peu pratique. C’était faire reculer la civilisation européenne et maintenir la nation à un niveau intellectuel qui rendait dans l’avenir tout progrès, même matériel, irréalisable. En supposant qu’ils se fussent ralliés franchement à notre drapeau, la vénalité des dignitaires asiatiques, vénalité qui est passée là-bas dans les mœurs et qui fait partie, pour ainsi dire, des formes de politesse et de gouvernement, nous les eût rendus très promptement impossibles à conserver dans leurs emplois. Nous ne fîmes du reste jamais l’essai de ces différens systèmes, proposés et discutés avec tant d’ardeur par les premiers arrivés. Le seul dessein de la France fut de se mettre à la place de l’administration tombée, en faisant disparaître tout ce que les mandarins annamites avaient eu de dur et d’injuste dans leurs procédés envers la population.

A mesure que l’on connaissait mieux le pays, on comprenait d’ailleurs trop bien la différence radicale qui existe entre les mœurs des Cochinchinois et les coutumes des Javanais pour imposer à la race conquise des principes en contradiction complète avec des habitudes invétérée, qui sont tout pour ces Asiatiques, et qu’un vainqueur doit respecter, au moins les premiers jours, sous peine de révoltes et d’émigrations en masse. Dans la Basse-Cochinchine en effet, le régime communal est complet et homogène. Les villages nomment eux-mêmes leurs maires, choisis seulement par les riches propriétaires ou notables, qui portent le nom d’inscrits. Ces derniers répondent de l’impôt, le répartissent en assemblée générale entre les terres communales et les propriétés particulières appartenant aux habitans inscrits ou non inscrits. Ceux qui n’ont rien paient de leurs personnes, soit en corvées pour l’état dues quatre jours par mois, soit en travail supplémentaire sur les terres de tous, soit comme miliciens. L’ancien régime annamite exigeait un homme sur sept comme soldat, que le village nourrissait, habillait et payait. En outre les recettes du gouvernement étaient basées sur la superficie et sur les qualités des terres, qui étaient divisées en quatre classes, suivant la richesse du sol et la nature des produits. La rente foncière, équivalant au dixième du revenu, se payait en nature ; les contribuables transportaient à leurs frais les denrées dans les magasins du chef-lieu. Des cahiers tenus dans les villages, au centre principal, auprès du chef suprême du pays, et semblables à nos rôles de contributions, enregistraient les noms des inscrits, des non inscrits et des miliciens, la superficie et la nature du sol, l’impôt total du village et la cote de répartition entre tous les membres de la communauté.

La centralisation et le contrôle administratif étaient faciles, car,