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ils entretiennent des intelligences. La poésie a son pittoresque et sa musique, et il y a de la poésie dans tous les arts. Que Lessing mette à l’interdit la peinture allégorique, laquelle de son temps avait la vogue, — il n’a pas dit les meilleures raisons qui militent en faveur de sa thèse ; mais à force de recommander à la peinture le respect du bien d’autrui, il la met à la gêne, il enferme cette conquérante dans des bornes trop étroites. — « L’essence de la peinture, dit-il, est de représenter la beauté corporelle. » Et il lui refuse le bouffon, le burlesque, le plaisant, le comique. Il ne fait à cet égard aucune différence entre les arts plastiques et les arts du dessin ; il les met au régime les uns et les autres, oubliant ce qu’a dit son maître Diderot : — « On peint tout ce qu’on veut ; la sévère, grave et chaste sculpture choisit ; elle est sérieuse, même quand elle badine : le marbre ne rit pas… S’il est permis de prendre le pinceau pour attacher à la toile une idée frivole qu’on peut créer en un instant et effacer d’un souffle, il n’en est pas ainsi du ciseau, qui, déposant la pensée de l’artiste sur une matière dure, rebelle et d’une éternelle durée, doit avoir fait un choix original et peu commun… La sculpture suppose un enthousiasme plus opiniâtre et plus profond. C’est une muse violente, mais silencieuse et secrète. » Lessing n’entend pas cette distinction. Il fait de la peinture une prêtresse du beau idéal, et condamne cette vestale à passer sa vie sur les marches de l’autel, près du feu sacré. Que rien de vulgaire ne la profane, que nulle laideur n’approche d’elle. Lessing préconise les Vierges et les Vénus ; mais il parle avec dédain de la peinture d’animaux, de la peinture de genre, et des Flamands. Il a beau médire du goût français, il juge Téniers comme faisait Louis XIV : ôtez-moi de là ces magots ! Il n’est pas moins sévère au paysage, et il en donne pour raison que le paysagiste imite des beautés « qui ne sont susceptibles d’aucun idéal. » Les peintres d’histoire ne trouvent pas non plus grâce devant lui ; eux aussi prévariquent contre le Seigneur, car ils recherchent avant tout la vérité et l’expression, et la laideur leur est agréable, pourvu qu’elle ait du caractère.

La doctrine de Winckelmann fourvoyait l’art dans les régions glacées du symbolisme ; la doctrine du Laocoon le conduit à l’académisme, aux types convenus, au poncif, à peindre le morceau. « Lessing avait la vue trop longue et trop perçante, a dit Novalis. Le sentiment des ensembles indistincts, la vision magique des objets avec leurs divers degrés d’éclairement et de pénombre, lui étaient refusés. » Par un exercice abusif de l’analyse, Lessing distingue trop ; sa critique, plus fine que délicate, ne voit partout que des couleurs qui tranchent ; la dégradation des tons, les demi-teintes,