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tique. La dame, il est vrai, avait une excuse, c’est qu’elle-même possédait des pommes et qu’elle avait voulu faire la comparaison. « Je voulais savoir si vos pommes étaient meilleures que les miennes,» dit-elle à M. Dixon, lorsqu’elle vit qu’il la regardait avec quelque surprise. Cependant, malgré beaucoup d’aventures de ce genre, M. Dixon n’hésite pas à déclarer que cet Américain légendaire de nos romans et de nos farces est encore pour lui un être de raison, et que, bien qu’il ait soupiré plus d’une fois après lui pour tromper l’ennui inséparable des longs voyages, il ne l’a pas plus rencontré que nous ne rencontrons à Dublin le spirituel cocher, à Damas le pacha grotesque, et à Madrid l’hidalgo susceptible, rêves de notre imagination qui ne se présentent jamais dans la vie réelle.

S’ensuit-il que l’accusation portée contre les manières américaines soit dépourvue de fondement? Non, répond M. Dixon, seulement elles n’ont ni la cause ni le caractère qu’on leur attribue. Ce qu’on peut dire de plus vrai, c’est que ces manières, sans aisance et sans grâce, ne sont au fond que l’expression la plus crue des manières propres à tous les peuples germaniques. C’est un fait non d’éducation, mais de nature et de tempérament. « Tous les hommes de race teutonique, dit M. Dixon en termes excellens, sont portés instinctivement à faire les gros yeux aux étrangers qu’ils rencontrent par hasard. Les dieux norses avaient cette particularité, et nous qui sommes leurs héritiers, c’est à peine si nous pouvons voir une figure inconnue, un costume qui ne nous est pas familier, sans sentir au fond de nos cœurs le désir de siffler et de lapider. En présence d’un étranger, un gentleman se revêt d’une armure de froid dédain, un mal-appris cherche des yeux autour de lui s’il ne trouverait pas quelque pierre à sa portée. » Et maintenant des manières déplaisantes sont-elles un signe d’infériorité? Les manières anglaises sont au moins aussi déplaisantes pour un Français que les manières américaines le sont pour un Anglais, et cependant il ne viendra à l’idée de personne qu’un gentleman anglais, avec sa taciturnité offensante, soit un être inférieur à un paysan des pays du midi. Avant de nous railler de la grossièreté américaine, nous ferions bien de jeter un regard sur nous-mêmes et de songer que nous. Européens, nous pourrions prendre des leçons de savoir-vivre et de politesse des bateliers de Stamboul et des portefaix du Caire. Tous les voyageurs savent que la perfection des manières doit être cherchée non dans nos palais et nos hôtels, mais sous les tentes des Bédouins. Dans l’état actuel du monde, cette question est affaire de longitude et de latitude. Un paysan italien a souvent de meilleures façons qu’un comte anglais. L’Italien, quelle que soit l’élégance de son maintien, ne peut soutenir la comparaison avec le Grec, plus souple que lui, et ce dernier doit à son tour céder la palme à l’Arabe,