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il n’est pas impossible que les Indiens se fussent acclimatés plus facilement à la civilisation, si l’accent anglais avait été moins guttural et le type anglais moins raide.

De même que les nègres avant la guerre d’émancipation, les Indiens ont aux États-Unis de puissans amis, et ces amis, comme ceux des nègres, sont dans les états du nord; mais M. Dixon fait très judicieusement remarquer que cette sympathie du nord est singulièrement inefficace, étant pur dilettantisme. Depuis un demi-siècle, les hommes du nord n’ont plus rien à démêler avec les Indiens, qui sont devenus pour eux ce qu’ils étaient pour nous au temps du Huron de Voltaire, des êtres poétiques, des héros de romans et de romances, une manière d’idéal de la vie libre au sein de la nature. Les gens de l’ouest, qui les voient de plus près et qui chaque jour ont affaire avec eux, les jugent un peu différemment, et les appellent sans façons voleurs, brigands et assassins. C’est qu’ils ont eu leurs fermes incendiées, leurs frères scalpés, leurs femmes et leurs filles violées par eux avec des circonstances révoltantes. Bref, il règne sur ce sujet des Indiens entre le nord et l’ouest de d’Amérique à peu près la différence qui règne parmi nous sur le sujet des Arabes entre les philanthropes de nos salons parisiens et les officiers qui ont fait la guerre d’Afrique. Vous vous rappelez ces Arabes enfumés par le colonel Pélissier qui firent jeter des cris d’humanité si sincères à notre opposition, alors que Louis-Philippe était roi; pareille chose arrive fréquemment dans le nord lorsque l’autorité militaire chargée de la garde des territoires de l’ouest se voit contrainte à quelque acte de vigueur. Il n’y eut pas assez de clameurs d’indignation, il y a deux ans, lorsqu’on connut le massacre qu’un corps de cavalerie commandé par le colonel Shevington avait fait d’une troupe de Cheyennes dans le territoire du Colorado, exterminant à l’aveugle guerriers, femmes et enfans. « Antilope Blanche tomba comme le héros d’un poème, car, voyant que la défense était inutile, l’évasion impossible, il monta sur un monticule de sable, et, ouvrant sa jaquette brodée, ordonna aux faces pâles de faire feu. Il roula à terre avec vingt balles dans le corps. » Mais ce que le nord ne disait pas ou ne savait pas, c’est que cette terrible exécution était une représaille des atrocités commises par ces mêmes Indiens. Près de Denver, à Running-Creek, vivait un laborieux cultivateur nommé Hungate. Un beau jour, les Peaux-Rouges se jettent sur sa ferme, enlèvent ses bestiaux, brûlent sa maison et ses granges, violent sa femme, massacrent ses enfans et le fusillent lui-même. « Les têtes de toutes les personnes de la famille d’Hungate furent scalpées, leurs corps hachés et mutilés. Lorsqu’ils furent découverts dans cet état, ils furent portés