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lité entre les deux sexes est moins grande dans le nord que dans le sud, dans le sud que dans l’ouest, mais elle existe également dans les trois régions. Lors du recensement de 1860, le nombre des hommes excédait celui des femmes de 730,000 âmes. La guerre civile, si meurtrière, aurait dû rétablir l’équilibre ; mais l’émigration, qui est incessante et qui se recrute pour plus des trois quarts dans la population mâle des divers pays, a eu bientôt compensé les pertes de la guerre, et l’inégalité subsiste aussi forte qu’auparavant. Sur les quarante-six états ou territoires qui composent les États-Unis, huit seulement présentent entre les deux sexes l’équilibre de notre Europe : le Maryland, le Massachusetts, le New-Hampshire, le New-Jersey, le New-York, la Caroline du nord, le Rhode-Island, la Colombie. Dans l’ouest, cette disproportion atteint à un point qui fait frémir. « En Californie, il y a trois hommes contre une femme, à Washington quatre hommes contre une femme, dans la Nevada huit hommes contre une femme, dans le Colorado vingt hommes contre une femme. » Voilà donc une armée de 730,000 célibataires forcés, moines par fatalité, dont aucun n’a fait le vœu de chasteté, il y a là de quoi faire réfléchir. Barbarie prolongée de l’ouest, habitude des vices virils et énergiques, corruption des grands centres de population, de New-York, par exemple, qui dépasse, dit-on, sur ce point les capitales les plus renommées, Londres et Paris, Naples et Munich, se justifient et s’expliquent facilement par ce fait qui a d’autres conséquences encore et autrement importantes que celles-là.

Cette disproportion si marquée assure à la femme une véritable domination dans tous les sens. Étant un objet rare, elle y a plus de prix que dans aucun autre pays. L’acquisition d’une femme devient ainsi le principal effort, la principale conquête de l’homme. Cette situation exceptionnelle assure la femme américaine des privilèges que les plus chevaleresques des nations n’ont pu jamais lui accorder. Et d’abord, réel bienfait et réel progrès, elle dispense la femme dans les conditions inférieures de tous ces travaux dégradans ou trop lourds pour son sexe qui atteignent sa beauté physique et sa dignité morale, et dont notre civilisation européenne n’a pu encore parvenir à la débarrasser parmi nous. Il y a loin du portrait que trace M. Dixon d’Annie Smith, la femme du squatter Cyrus Smith d’Omaha, véritable reine d’un cottage tout reluisant de propreté, et qui porte des habits neufs sept jours par semaine, à la paysanne française courbée sur le sillon, suant sous le soleil et la pluie à manier la bêche et le râteau, et qui ne dépose ses haillons que le dimanche. Il me souvient de certaine correspondance d’un journal américain où l’écrivain retraçait avec la plus naïve sincérité l’étonnement mêlé d’indignation qu’avaient éprouvé les Américains de Californie à la vue d’une courageuse Française travaillant aux pla-