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cers avec son mari, triant, criblant, lavant l’or. Ce résultat dis-je est un progrès réel ; mais d’autres sont des progrès plus contestables quoiqu’ils aient en eux un germe important d’avenir. Si dans les classes inférieures la femme est exempte des durs travaux dans les classes supérieures elle est exempte de toute dépendance morale si ce n’est volontaire et dictée par le sentiment et la raison. Les lois américaines, œuvre d’une autre époque et reflet d’une autre civilisation, ont beau la proclamer soumise à l’homme les mœurs nées de cette situation, plus forte que les lois, établissent entre les deux sexes une égalité de fait qui ne pourra manquer de devenir quelque jour une égalité de droit. Les questions si débattues des droits de la femme, de l’égalité des sexes, qui n’ont jamais pu chez nous sortir du domaine des théories et des chimères prennent en Amérique possession de la réalité. Cette prise de possession n’est pas toujours silencieuse et exempte d’excentricité, mais elle est curieuse et vaut la peine qu’on en regarde le spectacle.

Quiconque est beaucoup recherché doit arriver infailliblement à S’estimer beaucoup, puisque les autres se chargent obligeamment de l’avertir de ce qu’il vaut à leurs yeux. De là à se considérer comme égal ou même supérieur à ceux qui vous recherchent il n’y a qu’un pas. Cette assurance, cet aplomb, cette témérité de flirtation, cette franchise nette, cassante, cruelle, des jeunes Américaines, qui ont fait le scandale de tant de pharisiens des deux sexes en Europe, n’ont pas d’autre cause. Voici une jeune fille que les circonstances sociales de son pays arment du privilège d’exercer à son aise ce pouvoir du dédain si cher à son sexe, qui est sûre d’attirer et de retenir auprès d’elle dix, vingt, cent adorateurs, qui est ainsi libre de trier, de choisir qui lui plaît davantage et de congédier qui lui plaît moins ; pensez-vous qu’elle sera très portée à tourner sur sa personne un œil d’humilité, qu’elle sera très convaincue qu’elle est inférieure à ceux dont elle peut disposer et dispose comme de ses animaux favoris ? Évidemment non. Si elle est bonne et modeste, elle consentira à se considérer simplement comme leur égale ; si elle a une tendance à l’orgueil, elle n’hésitera pas à se regarder comme leur supérieure. Que signifie alors cette suprématie que l’homme continue à s’arroger de par des lois iniques ? Il ne faut donc pas s’étonner si les appels à l’indépendance féminine, si les discussions sur le mariage, le divorce, l’amour, ont acquis en Amérique dans ces vingt dernières années une importance particulière. Des congrès féminins ont été tenus dans l’Ohio et le Massachusetts pour rédiger et proclamer la charte de l’égalité entre les deux sexes et nombre de membres de ces congrès, devançant l’acceptation de cette charte, en ont commencé pour leur compte l’application. Élisabeth Stanton s’est présentée comme candidate à la re-