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N’est-ce point en vérité le moment des fêtes princières ? Pendant que le prince de Galles était à se faire recevoir chevalier de Saint-Patrick et à gagner les bonnes grâces de l’Irlande, toute la politique de l’Italie se concentrait un instant dans les fêtes de Turin, dans le mariage du prince Humbert. C’est un mariage tout national entre l’héritier de la couronne d’Italie et la jeune princesse Marguerite, fille du populaire duc de Gênes, ce frère du roi, mort prématurément, il y a bien des années déjà. Turin, la ville délaissée, a eu le dédommagement d’être la première à célébrer cette union, et malgré tous ses griefs la cité piémontaise garde toujours un faible pour sa maison de Savoie. Elle a retrouvé pour quelques jours l’éclat d’une capitale. Elle a vu affluer les princes étrangers, et celui qui a été le lion de ces fêtes turinoises, c’est le prince royal de Prusse. On l’a entouré d’ovations, on lui a crié : Sadowa ! Sadowa ! Les Italiens n’ont pas tort de saluer de leurs acclamations le prince qui a si brillamment fait les affaires de la Prusse en faisant celles de l’Italie ; mais ils auront raison aussi de se souvenir, et leurs hommes d’état pourraient au besoin leur rappeler, que l’alliance prussienne est venue après d’autres, qu’elle n’est pas toujours bien sûre ni bien désintéressée. Il est vrai qu’ils peuvent nous dire d’un autre côté que nous leur faisons payer notre assistance d’autrefois par notre présence prolongée à Rome, et rien n’indique encore que cette occupation soit sur le point de cesser, de même que, malgré tout ce qui a été dit des présens envoyés par le pape à la princesse Marguerite, rien n’indique un adoucissement sensible dans les rapports entre Rome et Florence.

L’Italie, dans sa vie hasardeuse et difficile, a du moins la liberté. L’Espagne a bien certainement autant d’embarras, elle n’a point la liberté ; mais elle avait un dictateur qu’elle vient de perdre à l’improviste. Le général Narvaez est mort à soixante-huit ans, après une vie accidentée qui l’avait conduit au sommet du pouvoir et qui avait fait de lui un des premiers personnages publics. Peu d’hommes ont eu un plus grand rôle et une action plus décisive au-delà des Pyrénées. Soldat et brillant soldat pendant la guerre civile, homme d’état par circonstance, par cette fatalité des prépondérances militaires qui gouverne les affaires d’Espagne, Narvaez s’est trouvé premier ministre aux heures les plus difficiles, en 1845, en 1848, après la révolution de 1855 et dans ces dernières années. Il portait assurément au pouvoir des qualités éminentes, plus militaires que politiques toutefois, le coup d’œil prompt, la vivacité et la sûreté de décision, une rapidité foudroyante d’exécution ; malheureusement à ces qualités se joignaient des défauts plus graves encore ; il avait tous les besoins d’une nature dévorante, l’impatience de toute contradiction, une absence à peu près complète de scrupule, une violence qui n’était pas toujours sans calcul, mais qui se donnait toute carrière, et c’est ainsi que dans ces dernières années, sous prétexte de maintenir l’ordre,