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il avait conduit l’Espagne à ce point où il n’y a plus peut-être de choix qu’entre une réaction outrée et une révolution nouvelle. La mort de Narvaez, survenant dans ces circonstances et suivant de près la mort d’O’Donnell, n’est pas sans gravité, car elle laisse plus que jamais l’Espagne dans cette redoutable alternative de réaction et de révolution où elle vit depuis quelques années. Son successeur à la présidence du conseil, M. Gonzalez Bravo, est-il homme à conjurer cette fatalité ? Il l’essaie, à ce qu’il paraît. La question est de savoir s’il sera emporté lui-même, ou s’il s’associera plus intimement à l’absolutisme néo-catholique, qui jusqu’ici s’est borné à exercer une influence indirecte, quoique très puissante, sur le gouvernement actuel de l’Espagne.

Les révolutions ne sont jamais ce qui manque dans le monde : quand il n’y en a pas en Europe, il y en a en Amérique, il y en a dans quelque contrée de l’Orient, et c’est ainsi que viennent d’éclater, ou, pour mieux dire, de se dénouer en plein Japon des événemens où a disparu tout à coup un prince avec lequel nous avions traité, que nous avons pris pour le véritable souverain, et qui ne l’était pas, à ce qu’il semble, autant que nous l’avions pensé. Une révolution au Japon n’est pas tout à fait sans importance pour les intérêts européens depuis que des relations ont été ouvertes avec ce mystérieux empire ; mais que peut bien être une révolution japonaise ? Qu’est-ce que ce taïcoun à qui nous avons fait les honneurs de la souveraineté, que nous avons pris pour le représentant officiel d’un pays qui n’était guère connu il y a vingt ans ? Le taïcoun n’est pas visiblement le vrai souverain, puisque au-dessus de lui il y a l’empereur, le mikado, dont pendant longtemps nous avons fait ingénieusement un prince spirituel, un pape placé à côté du prince temporel. Ce n’est pas non plus un prince ordinaire, puisqu’il a quelques-unes des prérogatives de la souveraineté, puisqu’il a son gouvernement, sa capitale autre que celle de l’empereur, qui réside à Kioto, tandis que le taïcoun est à Yeddo. C’est, à tout prendre, un pouvoir assez moderne, qui a essayé de se former, qui joue le rôle d’une sorte d’intermédiaire entre le mikado et la féodalité japonaise. Cette féodalité, on le sait, se compose d’un certain nombre de grands vassaux qui, sous le nom de daïmios, régnent sur leurs provinces, sur leurs domaines, en princes presque indépendans, qui reconnaissent l’empereur pour suzerain, et en même temps sont tenus envers le taïcoun à certaines sujétions féodales, telles par exemple que celle de résider pendant quelques mois de l’année à Yeddo. De là des rivalités sans fin, des luttes alimentées, aggravées surtout par l’apparition des étrangers au Japon. Dans ces rapports nouveaux avec le commerce européen, les daïmios voyaient principalement pour le taïcoun un moyen d’accroître son influence et son autorité en accroissant ses richesses. La guerre ne pouvait manquer d’éclater ; elle était poussée si loin que bientôt, il y a de cela quelques années, vers 1862, les daï-