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existait en 1863 et en 1864. À cette époque, on était frappé outre mesure de la cherté de l’argent; depuis plusieurs années, l’escompte était à 5 et 6 pour 100, et on ne voyait pas comment les choses pourraient jamais changer. Aujourd’hui nous avons pléthore de numéraire; le capital est à 2 1/2 pour 100, et on est disposé à croire qu’il en sera toujours ainsi désormais, que le capital disponible dépassera toujours la demande, qu’il n’y a plus qu’une chose à faire, se mettre à l’abri de l’invasion des métaux précieux, qui finiraient par troubler les rapports économiques... On prétend que nous sommes le pays le plus novateur qui existe, celui qui aime le plus à regarder en avant et à y chercher des changemens, des révolutions même. C’est une bien grosse erreur. Nous avons l’air mobiles en effet; mais personne ne s’habitue plus que nous aux faits accomplis, et n’est plus disposé à les prendre pour la règle de l’éternité. Sans sortir du domaine économique, que d’incidens nous avons déjà traversés, que nous avons pris volontiers pour une loi du progrès! En 1848, on parlait de l’organisation du travail, et, sans la rêver précisément telle que la demandait M. Louis Blanc et telle qu’elle était débattue dans les conférences du Luxembourg, beaucoup de gens inclinaient à croire qu’il y avait en effet quelque chose à tenter dans cet ordre d’idées, et que les anciens rapports du capital et du travail devaient être modifiés. On ne tarda pas à revenir à un jugement meilleur; aujourd’hui c’est le tour des sociétés dites coopératives. Sous l’influence de la vogue qu’ont obtenue tout à coup ces sociétés, après l’attention qu’on leur a prêtée dans les conseils du gouvernement et les encouragemens dont elles ont été l’objet, beaucoup de personnes s’imaginent qu’il y a là un fonds des plus sérieux, et que c’est le germe d’une grande révolution économique. Nous ajournons cet optimisme après l’expérience de quelques années. Il en est de même des changemens qui s’opèrent dans les lois qui régissent le capital et la circulation. Quand le capital est cher, nous ne concevons pas comment il pourra redevenir à bon marché, et comment il pourra redevenir cher quand il est à bon marché. Défions-nous de ces impressions du moment, et sachons envisager les choses avec plus de calme. Nous sommes assez vieux dans le monde, je ne dirai pas pour avoir l’expérience de toutes choses, mais au moins pour ne pas être surpris dans l’ordre économique et politique par des faits qui resteraient sans explication. Il y a une explication à ce qu’on a appelé la grève du milliard, c’est cette explication que nous allons chercher à donner.