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liards, et ce chiffre n’a certainement rien d’exagéré, puisqu’il embrasse toutes les avances du pays, toutes les affaires qui sont engagées à la fois : s’il y a seulement un ralentissement d’un vingtième, proportion qui est inférieure à ce qui ressortirait de la comparaison des opérations de la Banque en 18-7 et en 1866, immédiatement nous avons la complète disponibilité de 2 milliards 1/2 de capitaux. Or on comprend que 2 milliards 1/2 de capitaux disponibles, venant peser tout à coup sûr le marché, lui impriment une tendance à la baisse très caractérisée. Le fait qui produit le plus généralement ce temps d’arrêt dans les affaires et cette affluence de capitaux, c’est, avons-nous dit plus haut, la liquidation d’une crise commerciale ou financière. Cette fois la cause est tout autre et agit avec plus d’énergie encore. Il est rare que toutes les industries soient atteintes par les effets d’une crise ordinaire, qui frappe surtout celles où la spéculation s’est portée avec exagération. Un jour ce seront les industries du fer ou celles dont le coton sert de matière première, une autre fois ce seront les prêts à l’étranger, les intérêts pris dans les compagnies industrielles ou financières qui se trouveront compromis. Il en résultera bien, par la loi de solidarité qui unit toutes les affaires, un certain contre-coup sur celles mêmes qui ne seront pas atteintes directement ; mais ce contre-coup sera très léger, et dans tous les cas il ira s’affaiblissant à mesure que les rapports s’éloigneront. Il n’en est pas de même lorsque la cause du ralentissement vient de l’inquiétude politique, qui paralyse tout à la fois, et on pourrait presque dire de la même manière. Personne n’ose plus s’engager de peur d’être surpris par des événemens d’une gravité extrême; le crédit, qui est l’âme de l’activité sociale, le principal élément du progrès, se trouve suspendu; on ne se hasarde pas dans les spéculations à long terme, l’avenir est fermé, on ne fait que des affaires courantes et des affaires au comptant, basées sur l’es besoins immédiats de la consommation. Les capitaux se retirent et se tiennent à l’abri, comme s’ils étaient à la veille d’une tempête. C’est notre situation depuis le grand changement qui s’est opéré en Europe en 1866 par suite de la bataille de Sadowa. A partir de ce moment, l’esprit n’a plus été aux affaires, il a été aux préparatifs militaires. C’est à peine si l’année dernière l’exposition universelle a fait une diversion. On est venu la visiter, on a admiré les prodiges de toute nature qu’elle renfermait ; mais les préoccupations sont restées les mêmes. C’est en vain que les gouvernemens parlent de paix : on n’y croit pas; on reste persuadé qu’il y a une force des choses qui tôt ou tard amènera fatalement la guerre, et qu’il faut s’y préparer.

On comprend que dans une situation semblable l’inquiétude