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de combat et réduits à l’inaction la plus complète On nous gardait à vue. Les sentinelles fourmillaient au dehors, et il fallait bien s’avouer que notre unique chance était d’aller moisir dans les casemates de quelque forteresse du nord. Cependant quelques officiers de marque étant tombés récemment aux mains des confédérés, on pouvait, avec des dispositions tant soit peu optimistes, compter sur la probabilité d’un échange plus ou moins immédiat ; mais d’un autre côté nous avions tout lieu de craindre que notre situation ne fût aggravée, le général à qui nous avions été amenés ayant annonce, disait-on, qu’en représailles de trois de ses officiers exécutés à la suite d’une des dernières razzias de la cavalerie secessioniste, il ferait fusiller les trois premiers officiers confédérés sur lesquels il mettrait la main. En pareil cas, nous le savions, menace vaut chose faite, et chacun de nous, en voyant le soleil se perdre derrière les nuages sanglans de l’horizon, pouvait se demander cet astre se lèverait encore une fois pour lui. Or, je vous le dis par expérience, le même homme s’inquiète médiocrement des balles qui peuvent l’atteindre en plein jour, au moment de la charge, et pourtant digère mal l’idée de se trouver la nuit, une lanterne sur la poitrine au bord d’une fosse creusée d’avance, devant un peloton d’honnêtes bourreaux qui vont à regret le fusiller comme un chien.


IV.

Deadly Dash lui-même, le plus froid, le plus endurci, le plus endiablé des soldats et des pécheurs, avait suivi d’i, regard suffisamment pathétique la lente décadence du soleil vers l’occident Quelque douleur intime jetait comme une ombre sur son front, ombre dissipée chaque fois que son regard venait à tomber sur Stuart Lane. Alors un léger frisson le parcourait de la tête aux pieds, frisson dont je ne saurais rendre la secrète horreur. Le Virginien cependant gardait une immobilité presque absolue. Aucun signe extérieur ne révélait ses angoisses, mais elles se lisaient dans ses yeux, que je comparais involontairement à ceux d’un pauvre cerf tué jadis par moi dans une de mes chasses en Valachie, et qui, se débattant contre la mort, me jetait des regards exactement pareils. Ah ! sans nul doute ce jeune champion d’une cause perdue songeait alors à la femme qu’il aimait, qu’il avait recherchée obtenue au milieu de la tempête déchaînée sur leur pays, possédée pendant quelques jours au sein du désastre universel, des dangers imminens, et qu’il allait peut-être abandonner pour jamais ; il pensait à cette beauté fleurissante dont les parfums étaient perdus pour lui, a ces tendres