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ritualisme, qui admet des unités secondaires entre l’unité première et la pluralité infinie. Le spiritualisme n’exclut aucune relation, si intime qu’elle soit, de l’esprit avec la matière. Il n’exclut non plus aucune relation, si intime qu’elle soit, de l’esprit avec Dieu. Le spiritualisme subsiste, pourvu que l’on admette ces deux vérités fondamentales : l’unité de centre pour expliquer la conscience du sujet, — la pluralité des centres pour expliquer la discontinuité des consciences.

Nous avons recueilli et développé librement dans les pages précédentes l’idée-mère du spiritualisme français fondé par Maine de Biran; mais nous n’avons pas fait connaître sa philosophie, qui a des aspects bien plus étendus et une portée beaucoup plus vaste qu’on ne peut l’indiquer dans une esquisse rapide. Pour bien faire comprendre cette philosophie, il faudrait pouvoir exposer avec détail et précision toutes ces belles théories, qui resteront dans la science : la théorie de l’effort volontaire, par laquelle Biran établit contre Kant et contre Hume la vraie origine de l’idée de cause ; la théorie de l’obstacle, par laquelle il démontre, d’accord avec Ampère, l’objectivité du monde extérieur: la théorie de l’habitude, dont il a le premier démontré les lois; ses vues, si neuves alors, sur le sommeil, le somnambulisme, l’aliénation mentale, et en général sur les rapports du physique et du moral; la classification des opérations de l’âme en quatre systèmes : affectif, sensitif, perceptif et réflexif; enfin sa théorie de l’origine du langage. Dans cette étude, on aurait à faire la part, en consultant avec soin leur correspondance, de ce qui doit être attribué à Ampère ou à Biran dans cette doctrine commune[1]; mais un travail critique d’une telle étendue ne peut pas même être essayé ici.

Maine de Biran a donné à la France une philosophie de l’esprit : il ne lui a donné ni une philosophie de la nature, ni une philosophie religieuse. Ce n’est que vers la fin de sa vie qu’il s’est posé à lui-même le problème de Dieu. Jusque-là, il semblait l’avoir systématiquement écarté. Le moi l’occupait tout entier, et la pensée de l’absolu et du divin semblait dormir dans les profondeurs de sa conscience : une note mystérieuse ajoutée aux Rapports du physique el du moral était la seule indication d’une tendance religieuse et déjà mystique qui devait se développer plus tard dans sa dernière phase philosophique. De cette dernière phase, il ne nous reste que des débris, et tout porte à croire qu’elle était plutôt un sentiment de l’âme qu’une doctrine rigoureusement philosophique. C’est donc

  1. Ampère lui-même semble avoir fait ce partage dans la dernière lettre de la correspondance publiée par M. Barthélémy Saint-Hilaire.