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en dehors de Maine de Biran que s’est développée la philosophie religieuse du spiritualisme.

Oserai-je dire toute ma pensée? C’est surtout dans cette partie de la philosophie que le spiritualisme a le plus à faire pour se mettre au niveau des recherches scientifiques et philosophiques de notre temps. On a beaucoup insisté, et avec raison, sur la personnalité divine; mais on s’est trop borné à prouver cette vérité par la psychologie, on a trop cru que tout était démontré lorsqu’on avait dit que tout ce qui est dans l’effet doit se retrouver dans la cause, que, l’homme étant un être intelligent et libre, Dieu doit être aussi, mais infiniment, intelligent et libre. Puisqu’on s’appuyait ainsi sur un axiome cartésien, on n’aurait pas dû oublier que, suivant Descartes, ce ne sont pas seulement les attributs humains, c’est en général tout ce qui est doué d’un certain degré de perfection, c’est-à-dire de réalité, qui doit être conçu en Dieu d’une manière absolue. On n’aurait pas dû oublier que. Descartes admettant l’étendue des corps comme une réalité, puisqu’elle en est l’essence même, il est impossible, tant qu’on reste fidèle à cette doctrine, de ne pas attribuer à Dieu l’étendue infinie aussi bien que la pensée infinie, et de ne pas en faire par là même la substance des corps aussi bien que la substance des esprits. Si au contraire on prétend que c’est non pas l’étendue réelle qui est en Dieu, mais ce qu’il y a d’essentiel, d’intelligible, d’idéal dans l’étendue corporelle, on est amené par la même considération à avancer que c’est non pas l’intelligence elle-même qui est en Dieu, mais ce qu’il y a d’essentiel et d’absolu dans l’intelligence. On arrive ainsi à s’écrier avec Fénelon : « Dieu n’est pas plus esprit que corps; il est tout ce qu’il y a de réel et d’effectif dans les corps et dans les esprits. » Dieu ainsi entendu n’est plus que l’être, l’être tout court, dit Malebranche, l’être sans rien ajouter, dit Fénelon. Ce n’est point là une personne. Ainsi la doctrine cartésienne aboutissait de toutes parts à la négation de la personnalité divine.

Si la philosophie cartésienne conduit à nier la personnalité divine, la philosophie allemande au contraire conduit nécessairement à l’affirmer, et j’incline à croire aujourd’hui que cette philosophie si décriée par nous-mêmes peut être, bien comprise, le salut du spiritualisme. Ce que la philosophie allemande a démontré depuis Leibniz jusqu’à Hegel, c’est que la nature et l’esprit ne sont pas opposés l’un à l’autre comme deux choses égales, comme ayant l’un et l’autre en quelque sorte une même solidité, mais qu’ils sont subordonnés. La nature, à proprement parler, n’a pas de réalité propre : elle est pleine d’esprit; elle n’est, elle ne vit, elle ne respire que par l’esprit. « Tout est plein des dieux, » disait Thalès. Ce