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qu’il y a d’effectif dans la nature, c’est la force et la loi : l’étendue n’est qu’un substratum mort, c’est le vide; la force et la loi, c’est déjà l’esprit, non pas de l’esprit pour soi, comme disent les Allemands, mais de l’esprit en soi. La matière, dit Schelling, c’est de l’esprit éteint. La matière ne vit donc que par l’esprit ou pour l’esprit. L’esprit est la vérité de la matière. Par la même raison, Dieu est la vérité de l’esprit, il est l’esprit en soi, l’esprit absolu. Aussi Hegel est-il plus hardi que Fénelon, et ne craint-il pas de dire que Dieu est esprit, et que c’est là sa vraie définition.

Il est surprenant que la négation de la personnalité divine soit venue de l’école de Hegel; cette école, qui n’admet que le sujet, que la pensée, que l’idée, devait définir Dieu le sujet absolu, ce qui est la plus haute idée que l’on puisse se faire de la personnalité. Même Schelling faisait encore de Dieu un sujet-objet; mais Hegel absorbait entièrement l’objet dans le sujet[1]. Toute vérité était donc dans le sujet et dans le sujet absolu. Il est certain que Hegel n’a jamais bien défini ce qu’il entendait par sujet absolu, esprit absolu, et ce n’est pas le lieu ici de controverser sur le sens de sa doctrine. Nous en prenons, quant à nous, ce qui nous convient, et, partant, comme on l’a vu, du sujet relatif ou du moi, nous en sortons par le phénomène de l’obstacle ou de la résistance pour remonter de là au sujet absolu, qui est, si l’on veut, l’identité des deux termes, ou plutôt l’absorption de l’un dans l’autre. Ce sont les deux pôles de Maine de Biran : « la personne-moi, d’où tout part; la personne-Dieu, où tout aboutit. » Entre le sujet relatif et le sujet absolu, entre ces deux personnalités, quels sont les rapports? Est-ce la personne-Dieu qui enveloppe tout au point que la personne-moi n’en serait qu’un mode ou phénomène? Est-ce au contraire la personne-moi qui serait la réalisation effective de la personne-Dieu? Est-ce l’homme qui a conscience en Dieu? Est-ce Dieu qui a conscience en l’homme? Ni l’un ni l’autre. Si l’homme n’est qu’un mode de Dieu, il n’y a plus de personnalité humaine, il n’y a plus de sujet. Tout notre édifice s’écroule. Si c’est Dieu qui se disperse dans la conscience humaine, il n’y a plus d’esprit absolu. Nous maintenons fermement la distinction du sujet absolu et du sujet relatif : c’est ici la limite ferme et fixe par laquelle nous nous séparons du panthéisme.

Pour nous, le panthéisme ne consiste essentiellement ni dans la doctrine de l’unité de substance ni dans la négation de la création ex nihilo; ce n’est pas sur ces deux points que nous lui ferons la

  1. En Allemagne, le système de Schelling est appelé idéalisme objectif, et celui de Hegel idéalisme absolu, ce qui correspond bien à la différence que nous signalons.