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ait quelque chose de vrai dans des reproches qui nous viennent de côtés si différens. On accuse notre philosophie d’être à la fois froide et timide, de ne donner complètement satisfaction ni à l’esprit religieux ni à l’esprit scientifique. Elle a craint le mysticisme, elle a craint la métaphysique, elle a craint la science, et, pour échapper à tous ces écueils, elle a trop aimé à se reposer dans l’érudition. Pour reprendre sa marche ascendante, il faut qu’elle ose, il faut qu’elle travaille à s’enrichir et à se compléter, il faut qu’elle s’assimile ce qu’il y a de bon dans les écoles adverses, il faut qu’elle ne craigne pas trop une certaine division dans son propre sein, car la diversité des points de vue semble être un des caractères essentiels de l’esprit philosophique; il faut enfin qu’elle prépare des matériaux à la reconstruction d’une philosophie nouvelle.

En parlant ainsi, je n’indique pas seulement ce qui doit se faire, j’indique ce qui se fait. Il est évident, pour tous ceux qui savent ce qui se passe, qu’un travail de rajeunissement et de rénovation s’opère dans le sein de la philosophie spiritualiste. Elle se rapproche des sciences, dont elle fait une étude de plus en plus attentive et sérieuse, elle réconcilie la psychologie et la physiologie. Elle s’informe de toutes les idées nouvelles, et elle cherche librement à s’en rendre compte. Elle étudie scrupuleusement les monumens de la philosophie allemande. De jeunes métaphysiciens pleins de sève et de prudente audace mûrissent dans la solitude les fruits d’une pensée inquiète et pénétrante qui ne se contente plus de lieux-communs. Elle se complète par de fortes études sociales, politiques et esthétiques[1]. S’il était possible de rallier ces élémens divers, on verrait que, malgré le préjugé contraire, l’école spiritualiste est encore la plus active, la plus féconde, et je dirai même la plus progressive des écoles contemporaines. Tandis que nous marchons et que nous nous renouvelons, les autres se figent

  1. M. Caro (le Matérialisme et la Science), M. Magy (la Science et la Nature), ont commencé à jeter les bases d’une philosophie naturelle. M. Fr. Bouillier (l’Ame pensante et le Principe vital), M. Albert Lemoine (le Sommeil, l’Aliéné, l’Ame et le Corps), ont rattaché la psychologie à la physiologie. M. Ad. Franck (Philosophie du droit pénal et du droit ecclésiastique), M. Beaussire (la Liberté dans l’ordre intellectuel et moral), et surtout M. Jules Simon, dans ses nombreux ouvrages devenus si populaires, ont constitué une vraie philosophie politique. M. Ch. Lévêque (la Science du beau) nous a donné un bel essai d’esthétique. M. Ern. Bersot (Libre philosophie, morale et politique) associe la philosophie aux libres mouvemens de la philosophie du dehors. Mentionnons aussi quelques noms qui ne sont pas encore connus du public, mais qui ne tarderont pas à l’être : M. Lachelier, qui professe avec succès à l’Ecole normale; M. Fouillée, dont l’Académie des sciences morales vient de couronner un mémoire sur la philosophie de Platon, aussi remarquable par la pensée que par la science. Nous nous permettons enfin de faire allusion plus haut au cours que nous venons d’inaugurer à la Sorbonne sur la philosophie allemande.