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et se cristallisent. Nous sommes passés du dogme à la liberté; elles passent au contraire de la liberté au dogme. Tel sceptique doute de tout avec l’âpreté d’un docteur de Sorbonne. Le positivisme, le matérialisme, se forment en églises, et hors de ces églises il n’y a plus de salut. L’esprit de secte les asservit; l’esprit d’examen nous affranchit. Nous ouvrons nos rangs tandis qu’ils ferment les leurs. Où est le mouvement? où est le progrès? où est la vie?

Telle est aussi la conclusion à laquelle arrive un savant et profond penseur qui vient de nous donner l’intéressant tableau des études philosophiques en France au XIXe siècle[1]. M. Félix Ravaisson, l’éminent historien d’Aristote, n’a pas reculé devant cette proposition, paradoxale en apparence, que c’est aujourd’hui l’idée spiritualiste qui est en progrès. Le bruit qui se fait à la surface de notre société agitée ne lui est pas la vraie mesure de ce qui se passe véritablement au fond des esprits. En reconnaissant avec une haute impartialité les services rendus par les nouvelles écoles, il montre que toutes, même les plus hostiles, quand elles sortent de la critique, en reviennent toujours à des principes qui ne sont sous d’autres noms que les principes mêmes qu’elles avaient combattus. Matière et force, disent les uns; tout n’est donc pas matière. Idéal, disent les autres; tout n’est donc pas positif. Axiome éternel, dit celui-ci; tout n’est donc pas phénomène. Ressort, tendance instinctive vers le mieux, dit un dernier; tout n’est donc pas combinaison fortuite. Ainsi, du sein même de la critique, mais d’une critique se rendant de plus en plus compte d’elle-même, reverdiront, refleuriront les principes si décriés. L’esprit public, aveuglé et enivré par l’entraînement des réactions, les adoptera sans les reconnaître sous des noms différens; puis viendra sans doute quelque esprit vigoureux qui, rassemblant ces élémens épars dans une synthèse nouvelle, rendra à la pensée spiritualiste sa puissance et son éclat. Peut-être périrons-nous dans cette révolution dont nous n’aurons été que les obscurs préparateurs, simples chaînons entre ce qui tombe et ce qui s’élève; mais qu’importe qu’une école périsse, si l’idée qui repose en elle renaît plus vivante et plus jeune, revêtue de son immortel éclat!


PAUL JANET.

  1. La Philosophie en France au dix-neuvième siècle, par M. F. Ravaisson, de l’Institut. — Rapport publié sous les auspices du ministère de l’instruction publique.