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II.

Ainsi se préparait lentement la ruine de la famille de Germanicus. Ce n’était point Agrippine qui pouvait la prévenir par sa prudence. Il lui aurait fallu toute la politique de Livie, et elle était du sang de Julie ! Ses amis auraient pu l’avertir, dira-t-on. Ils l’ont fait, et n’ont point été écoutés. Elle avait autour d’elle un parti nombreux et zélé, des cœurs hardis, des esprits fermes, qui constituaient ce que l’on voudrait appeler le parti libéral du temps ; si le mot est trop moderne pour être appliqué à la société romaine, on peut assurer du moins, car la chose est de tous les temps, qu’ils formaient le parti des honnêtes gens. Toutefois, si les honnêtes gens restaient auprès d’Agrippine, leurs espérances s’étaient peu à peu dissipées. Bien que la multitude souhaitât pour empereur un fils de Germanicus et que le sénat ménageât ceux qui pouvaient tout d’un coup devenir ses maîtres, les esprits sérieux ne voyaient là qu’un appui fictif, qu’une chimère commune à toutes les époques de servitude ; ils reconnaissaient avec douleur qu’il n’y avait rien de commun entre l’idée de Drusus, qui voulait rendre la liberté aux Romains, et l’idée d’Agrippine, qui voulait donner à Rome un de ses fils pour empereur. Agrippine avait tout réduit à une question de succession, c’est-à-dire à une question de personne. Elle promettait de meilleurs princes : la foule le croyait, les sages commençaient à en douter. Ni la race, ni l’excellence du père, ni les vertus maternelles, ne peuvent garantir ce que sera un souverain ; la seule garantie, ce sont les institutions, c’est-à-dire les limites posées à son pouvoir. Ah ! si Agrippine eût été vraiment intelligente, si elle eût possédé quelque génie politique, elle aurait repris l’idée de Drusus, continué la tradition libérale, ranimé les espérances dont Germanicus était le symbole, promis l’ancienne constitution accommodée aux besoins nouveaux, montré une liberté nouvelle inaugurée par ses fils, dignes imitateurs des Gracques et de Sylla. Si c’était une chimère, elle était séduisante, et il était glorieux d’essayer de la convertir en réalité.

Les Romains du reste méritaient un dernier effort. Les sujets d’Auguste avaient presque tous disparu, démoralisés, affaissés, amoureux du repos et du plaisir à tout prix. Une génération nouvelle les remplaçait, qui n’avait point connu la guerre civile et les proscriptions, qui ne craignait point les luttes, qui demandait à vivre et à respirer. Quand on lit les Annales de Tacite, on y trouve de grands misérables ; on y admire aussi des esprits courageux, désintéressés, qui n’ont pas dépouillé l’ancienne fierté romaine. La plupart devaient succomber un par un sous les coups de Séjan, puis de Tibère, et l’on peut estimer que la liste nécrologique des