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Russie plus qu’une victoire éclatante en la laissant face à face avec un Occident profondément troublé, avec des adversaires divisés et affaiblis.

C’est là en définitive la force la plus réelle de la politique russe. L’alliance de l’Angleterre et de la France, d’où est sortie la guerre d’Orient, renaîtrait peut-être dans un pressant danger; elle n’existe plus pour le moment, elle n’a pas survécu à la guerre, et même, par un étrange revirement, la France et l’Angleterre se sont trouvées plus souvent en désaccord qu’en bonne intelligence dans les mille péripéties de ces affaires orientales. L’Autriche, vaincue et décomposée, a bien assez de sa réorganisation intérieure. Seule la Prusse a grandi par la diplomatie comme par les armes sur le continent ébranlé; mais pour à Russie la Prusse n’est point une ennemie, et demain sans doute elle serait une alliée dans un conflit européen. Entre ces deux puissances, depuis l’insurrection polonaise, c’est un échange permanent de services, de telle sorte que, si la Russie n’a plus pour elle comme autrefois ce bouclier qui ne l’a pas faite invulnérable, cette garantie plus apparente qu’efficace qui s’appelait l’alliance du nord, elle n’a pas d’un autre côté beaucoup à craindre de l’Europe telle que les derniers événemens l’ont laissée. A vrai dire, dans cet écroulement de l’ordre de 1815, dans cette dissolution de toutes les alliances, elle a gagné plus qu’elle n’a perdu; elle y a trouvé surtout la possibilité d’accomplir jusqu’au bout ses vues sur la Pologne, de faire en quelque sorte sa rentrée, une rentrée assez bruyante, dans les affaires d’Orient, en un mot de redevenir une puissance d’autant plus redoutable qu’à une force toujours incontestable elle joint aujourd’hui l’influence de ses propagandes.

La vérité est que la Russie en est revenue à ce point où par son assimilation violente de la Pologne comme par ses chemins de fer elle peut porter ses têtes de colonnes jusqu’au centre de l’Europe, tandis que par sa diplomatie elle remue de nouveau l’Orient. Je ne veux pas suivre dans ses détails cette politique, qui depuis deux ans surtout est activement à l’œuvre; je voudrais seulement la montrer dans ses traits saillans, dans quelques-unes de ses manifestations les plus caractéristiques, — et l’un des épisodes les plus curieux assurément, un de ceux où se révèle le mieux ce qu’il y a de nouveau dans les vues et le travail de la politique russe, c’est l’apparition inattendue d’une mission américaine tombant, vers le milieu de 1866, en plein monde de Saint-Pétersbourg et de Moscou pour offrir au tsar les félicitations du peuple des États-Unis à la suite de l’attentat de Karakosof.

Ce n’était pas, comme on le croirait, un incident de diplomatie ordinaire, un de ces actes de politesse qui s’échangent entre des