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tique, » et il le faisait avec cette aisance élégante d’un esprit qui sait tout dire sans se compromettre beaucoup. Le thème de son discours, c’était naturellement l’analogie de situation et d’intérêts des deux nations. « Je n’ai pas besoin d’insister, disait-il, sur les manifestations de sympathie entre les deux pays; elles éclatent au grand jour... Cette entente ne repose pas sur une proximité géographique : l’abîme des mers nous sépare; elle ne repose pas non plus sur des parchemins, je n’en trouve aucune trace dans les archives du ministère qui m’est confié. Elle est instinctive ; dès lors j’ose me permettre de l’appeler providentielle. Je m’applaudis de cette entente, j’ai foi dans sa durée; dans ma situation politique, tous mes soins tendront à la consolider... » Je dois ajouter que M. Fox ripostait immédiatement en déclarant au prince Gortchakof qu’il était un « homme d’état au regard prophétique, » que ses paroles de sympathie au début de la guerre civile des États-Unis étaient tombées dans les cœurs américains, où elles avaient « germé comme des perles, » et il suppliait le Dieu éternel, qui avait « arrêté le soleil pour Josué, » de suspendre le cours de la vie pour le vice-chancelier, afin que les regards des deux nations pussent rester longtemps fixés sur lui. Quand les Yankees se mêlent d’avoir de la courtoisie, c’est-à-dire quand ils y sont intéressés, ils ne marchandent pas.

Russes et Américains, on le voit, se quittaient en bons termes. Que restait-il le jour où la mission des États-Unis, après s’être promenée jusqu’à Nijni-Novgorod, reprenait la mer, escortée jusqu’au port par cette bruyante sympathie, saluée de toute l’artillerie officielle? Il restait évidemment l’ébauche d’une alliance née du sentiment d’un danger commun, caressée par les deux pays et en définitive peut-être assez peu rassurante pour l’Europe, pour la France surtout. Les Russes se trompaient sans doute, s’ils voyaient déjà les Américains tout prêts à se jeter légèrement dans quelque mêlée européenne. Ils ne s’étaient point trompés, ils avaient montré au contraire une perspicacité singulière, quand ils avaient saisi d’un coup d’œil la solidarité que l’expédition du Mexique, coïncidant avec l’insurrection polonaise, créait entre les États-Unis et la Russie; ils ne se trompaient pas complètement en croyant et en disant que, « si l’expédition de Crimée avait pu s’effectuer, c’est parce que les puissances occidentales étaient assurées de la neutralité absolue des États-Unis, » que désormais « une entreprise semblable ne serait plus possible en présence de l’alliance russo-américaine. » Aussi les journaux russes, revenant à l’idée de la dissolution prochaine de l’empire ottoman, se hâtaient-ils de faire une part à la république américaine dans ces dépouilles orientales;