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composait d’un certain nombre d’officiers ; elle comptait à coup sûr plus de militaires que de géographes. La mission russe parcourait les Balkans, dont elle pouvait explorer les passages, — la Bulgarie, et descendait vers Andrinople. Sa présence produisait dans le pays une certaine émotion. A Philoppopoli, deux cents Bulgares allaient au-devant des Russes et se prosternaient devant eux comme devant les représentans du tsar venant faire rendre justice et assurer l’exécution du hatt-humayoum. On les haranguait, on leur disait notamment que c’étaient non pas les signataires du traité de Paris, mais les Russes seuls qui étaient les vrais protecteurs des chrétiens et des Slaves. Cette mission, parcourant le pays dans un pareil moment et s’attachant bien moins à relever des méridiens qu’à observer des points stratégiques, eut pour effet de provoquer des réflexions quand on se souvint qu’en 1852, peu avant la guerre qui se préparait, une mission semblable était allée sonder les passes des ports de la Turquie et particulièrement celle du port de Sinope. Que la Russie parvienne ainsi à frapper les imaginations, à maintenir son rôle de puissance aspirant à régner sur ces contrées du droit de la race et de la religion, rien ne le prouve mieux certainement que ce chant de guerre qui retentissait récemment dans les Balkans et dans les campagnes de la Bulgarie : « Levez-vous, faucons du sud, éveillez-vous, regardez ce qui se passe autour de vous, et tâchez de porter noblement le nom de Slaves. Allons, donnons la main aux aigles du nord… Bulgare, Russe, Tchèque, Serbe et Monténégrin, tous sont enfans de la même mère, tous sont frères par le sang et la foi. N’espérez rien du sultan, ne vous liez pas aux promesses des Français et des Anglais. Attendez tout de vous-mêmes et de vos frères slaves.. Si vous avez peur des Turcs, vous offensez Dieu, et honte à vous ! Regardez donc de près ces Turcs que vous craignez. A quoi ressemblent-ils ? A des lièvres poltrons. Voyez comme les Candiotes les battent ! Voyez comme les Turcs tremblent en entendant le nom de Candiote, de Monténégrin et de Russe !… » C’est là cette propagande à la fois religieuse et nationale qui se poursuit sans cesse, et qui n’a fait que redoubler dans ces derniers temps.

Diplomatiquement, la Russie se retrouve toujours sans doute sur un terrain plus difficile, plus circonscrit et surtout plus encombré d’influences rivales ; elle n’a pas moins saisi l’occasion des dernières, crises pour ramener en quelque sorte sa politique en avant, et si j’osais dire le mot, pour faire sa rentrée dans les affaires d’Orient. Je ne prétends pas qu’elle s’en soit jamais retirée ; mais depuis la guerre de Crimée, comme je l’indiquais, elle était restée plutôt en observation, affectant un désintéressement qui n’était pas absolu-