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ton ce qu’il a demandé à la mode régnante et ce qu’il doit à son talent souple et brillant.

M. Lytton a trop d’esprit, on le voit quand on le lit, pour être aisément dupe. Aussi ne peut-on pas dire qu’il ait été pris de la contagion. Il n’a pas cru un instant, cela est sûr, que l’on vînt de découvrir une recette nouvelle de poésie; mais qu’il n’ait pas usé de la recette, qu’il n’ait pas voulu disputer aux favoris du jour quelques-unes de leurs palmes, il nous serait impossible de l’admettre. Et d’abord pourquoi ces trois poèmes assez longs sur les religions, ayant pour titre Opîs et Argé, Thanatos Athanatou et Licinius? Sont-ils bien à leur place dans un recueil qui a pour nom Chronicles and Characters? Quel récit, quels portraits historiques ou dramatiques trouverons-nous dans le dialogue des deux jeunes prêtresses, Opis et Argé, empruntées à Hérodote, et qui s’entretiennent sur les nouveaux dieux qu’elles apportent de Scythie en Grèce? Nous n’en voyons pas davantage dans le drame du Calvaire, Thamatos Athanatou, la Mort de l’Immortel, où la parole est successivement donnée à des voix d’en haut, à des voix d’en bas, à la terre des vivants, à l’obscurité des tombeaux, à la mer, à l’air. Tout parle dans ce drame, mais rien n’a une physionomie et un nom, excepté Satan et un ange, qui font un assaut de logique versifiée au bout duquel l’ange, quoique vainqueur, est battu, puisqu’il ne confond pas l’ennemi, et Satan, quoique vaincu, gagne sa cause, puisqu’il reçoit la promesse de sa réconciliation. On ne trouve pas plus de chronique ni de caractères dans Licinius, qui est une vision où durant un millier de vers ce rival de Constantin voit dans le ciel entr’ouvert tous les dieux de l’olympe, et les injurie pour leur ingratitude envers un prince qui défend leur cause. Il y a de beaux détails surtout dans la première de ces poésies, mais cette veine n’est pas celle de l’auteur des Chroniques, et l’on ne peut s’expliquer la complaisance avec laquelle M. Lytton se livre à toute cette théologie intempestive et malsaine que par le succès des poèmes modernes où règne le Shelley à haute dose. Si M. Bailey, par exemple, n’avait pas enlevé la renommée d’assaut avec un mélange de mysticisme et de critique rimée, avec un ambigu de saint Paul et de Hegel, l’un faisant passer l’autre, M. Lytton eût-il écrit son Licinius?

Ce païen attardé, à la veille d’une bataille décisive contre le labarum et la religion nouvelle, invoque les dieux dont ses drapeaux portent l’image. Il les trouve tous dans l’intention de céder l’olympe à l’amiable. Ces immortels consentent à prendre leur retraite, victimes volontaires du progrès, et Licinius est dans la position d’un soldat fidèlement obstiné à combattre pour des rois qui veulent abdiquer. Passe pour Jupiter et pour Apollon dissertant sur