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mettre à la loi du Christ. S’ils disaient vrai! Qui osera se confier à cette nuit épaisse, en un tel moment, pour une telle œuvre?


« Je suis vieille, murmura la mère, je n’ai pas assez bonne vue pour trouver le trésor, je n’ai pas de force pour fouiller dans l’or ; mes mains sont paralysées, mes yeux aveugles; enfant de mes entrailles, je n’ose pas descendre dans l’horrible fosse! Et Rachel dit : J’ai peur des ténèbres, j’ai peur des morts; mais la chandelle se consume, et nous perdons le temps en paroles... Nous irons toutes deux, nous irons ensemble. — Enfant de mon sein, dit la vieille, je ne descendrai pas dans la fosse ! Et ce bout de chandelle qui brûle et s’en va! maudit soit-il! Je suis vieille, moi, et ne puis me soutenir. Vous êtes jeune, vous! ce que rapporte votre beauté, qui le sait que vous? Je crois bien que vous gardez l’argent; je crois que vous me laisserez mourir de faim. Oui, les serpens mordent toujours le sein qui les a réchauffés; mais vous êtes donc bien lâche! alors pourquoi venir? Ah! la misère est la vraie malédiction!

« Rachel regarda la flamme languissante, et, fronçant le sourcil, dit à voix basse : Fi! ma mère! j’ai peur des ténèbres, parce qu’il y a là, enfoncée dans mon cœur, une pensée que je ne puis étouffer, la pensée de certaines choses que tu sais et que je ne veux pas dire. Mes fautes sont bien nombreuses et bien lourdes, ma mère!.. »


Nous voilà loin de Keats et de Shelley; ne semble-t-il pas que nous revenions au moyen âge avec ses superstitions et ses épouvantes? Nous quittons un archaïsme pour en retrouver un autre; après Hérodote, les ballades de Bürger et les récits fantastiques. Quelques mots cependant sur ce retour à une mode que l’on croyait passée. Le fantastique est le domaine du caprice ; il confine à la folie, et par conséquent il ne se raisonne pas. Le modèle du genre est dans la ballade du Roi des Aulnes de Goethe ; celle de Lénore appartient plutôt à la peinture du surnaturel, lequel peut être imaginaire et logique à la fois. Lénore a maudit le ciel, et elle est punie de son blasphème, cruellement il est vrai, par une puissance divine, raffinée et tyrannique en ses vengeances. A plus forte raison le Trésor de Ben-Ephraïm doit-il être rangé dans la classe des poésies où règne un surnaturel réfléchi et raisonné. Par les mêmes motifs qui faisaient dire au poète ancien qu’un dieu intervient seulement quand le sujet en est digne, la superstition a sa loi dans la poésie, nec Deus intersit. En lisant Lénore, il faut qu’on se mette au point de vue de l’imagination allemande pétrie par la main de Luther et formée par deux siècles de protestantisme pour accepter que la pauvre fiancée, en punition d’une malédiction, soit entraînée vivante dans la tombe. Dans Ben-Éphraïm, le poète n’a le mérite ni de la nouveauté, ni de cette naïveté de terreur qui respire dans le