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« — Mère, la lumière est très bas ; la chandelle est bientôt consumée, et je crains de rester seule dans ces ténèbres. — Rachel, Rachel, poursuis! Tu as beaucoup fait, mais il te reste plus encore à faire. Vous êtes jeune, Rachel, sera-t-il dit que mes os seront déposés à la porte de mes enfans? Encore de l’or, toujours de l’or! — Mère, mère, penche-toi, et tiens cela!

« La voix venait d’en bas plus faible. Rachel lança en haut une gaîne richement ornée. Elle était chargée de pierreries que la vieille femme se mit à compter avec soin. — Rachel, Rachel, merci à toi, qui fais que les derniers jours de ta mère seront des jours heureux. Aussi vivras-tu dans la prospérité comme un figuier chargé de fruits, près d’une fontaine, et qui couvre la source de ses vertes feuilles... Mais encore de l’or, Rachel! il en faut encore! Nous aurons des maisons et des esclaves en Espagne; tu marcheras l’égale des plus grandes dames, et la plus belle dans Cordoue, Séville et Cadix; tu-seras courtisée comme le serait une reine, entourée comme on entoure les grands, et les algua4ls fuiront devant toi, car tu seras belle, et tes vêtemens splendides. Nul n’osera t’appeler d’un vilain nom, toi-même oublieras tes fâcheuses aventures, et les yeux de ta mère, dans la vieillesse, verront ce qu’ils ont toujours désiré de voir. Encore de l’or, toujours de l’or !

« — Mère ! la lumière est si bas ! Sortons ! sortons ! Grand Dieu ! ils me tiennent, mère ! dit-elle avec un sanglot; ne me laisse pas seule dans ces ténèbres! La mère, assise près de la tombe, écoute et demeure immobile ; elle entend les pas qui s’éloignent sous la terre, des pas désordonnés et lents. Elle regarde : la lumière ne brille plus, mais la voix de Rachel dit encore d’en bas : — Mère, mère! ils me tiennent! mère, il y a une malédiction sur ton or! Pitié! pitié! la lumière est éteinte, ne me laisse pas seule dans ces ténèbres. Mère, mère ! aide-moi, sauve-moi !

« Du fond de la tombe gémit toujours la voix de Rachel; auprès de la tombe est toujours assise la mère de Rachel. »


Nous ne savons si la poésie contemporaine doit revenir à la fantasmagorie et au merveilleux comme elle revient depuis quelque temps à plus d’une chose abandonnée; mais, en comparant cette pièce à tant d’autres que l’Allemagne, l’Angleterre et la France même ont vu naître à la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci, on peut faire cette observation qu’autrefois la poésie de ce genre fit partie de ce vaste mouvement de chants populaires dont l’Europe se montra curieuse et comme enchantée. La crédulité s’y répandait d’autant plus naïve qu’elle était un agréable démenti à la sécheresse philosophique du temps précédent. Aujourd’hui que le passé est étudié en détail, que les sources sont explorées et comptées, qui sait si l’accord d’une philosophie plus saine et d’un art plus savant ne pourra pas tirer des fruits nou-