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pouvait être considérée comme couverte par les pouvoirs généraux de dispense que Pie VII, à la veille du sacre, avait donnés à l’archevêque de Lyon, précisément pour qu’il pût, en dehors des conditions canoniques habituelles, marier religieusement Napoléon et Joséphine[1]. Quant au défaut de consentement de l’un des époux, cela était autre chose, et l’empereur, qui savait très bien et très vite apprendre tout ce qu’il avait intérêt à connaître, n’ignorait pas que partout et toujours aux yeux de l’église romaine il y avait dans l’absence de consentement une cause dirimante de nullité. Suivant la doctrine ultramontaine, qui n’est pas différente, si nous ne nous trompons, de celle qui est professée de ce côté des Alpes, car au fond le droit canon est tout romain, le mariage catholique ne résulte pas intrinsèquement de la bénédiction religieuse; elle en est la consécration, elle n’en forme pas l’essence. Aux yeux de l’église, un homme et une femme sont valablement unis lorsqu’ils ont juré conjointement devant Dieu de se prendre réciproquement pour époux. Le prêtre n’est que le témoin qui assiste à cet échange de la foi donnée et reçue. Il n’est pas nécessaire qu’il bénisse l’union contractée, ou seulement qu’il en prenne acte, il n’est même pas indispensable qu’il soit témoin consentant; il suffit qu’il soit présent de sa personne, fût-ce involontairement, et des mariages ainsi contractés, quoique l’église les blâme, n’en restent pas moins valables à ses yeux quand d’autres motifs n’en réclament pas la nullité. Par contre, l’absence du consentement, quand il n’a pas été virtuellement donné ou suffisamment établi, réduit tout le reste à néant. Voilà ce que l’empereur savait parfaitement, voilà la thèse qu’il avait invoquée dans l’affaire du prince Jérôme et de Mlle Patterson, et dont il voulait actuellement s’appliquer à lui-même le bénéfice. A coup sûr, en ce qui le regardait, elle était étrange, on peut même dire qu’elle choquait non pas seulement la délicatesse, mais les maximes de la plus simple droiture et de la plus banale honnêteté. On a peine à comprendre, en laissant de côté le sentiment religieux de la sainteté du mariage, qu’un tel homme ait consenti à se représenter comme ayant voulu, à la veille de cette grande cérémonie du sacre, tromper à la fois son oncle, qui le mariait, sa femme, qu’il semblait associer avec joie à sa gloire, et le pontife vénérable qui, malgré son âge et ses infirmités, était accouru de si

  1. Le cardinal della Somaglia a toujours dit et répété à qui a voulu l’entendre « qu’au moment de réhabiliter le mariage de Napoléon avec Joséphine Mgr Fesch, chargé de faire la cérémonie, alla voir le pape, qui était en ce moment à Paris. « Très saint père, lui dit-il, je puis me trouver dans tel cas que j’aie besoin de tous les pouvoirs de votre sainteté. — Eh bien ! répondit le pape, je vous les donne tous. » — Défense de la vérité sur le cardinal Fesch, par un ancien vicaire de Mgr d’Amasie; Lyon 1842, p. 187.