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solution ; mais c’est ici justement que cette situation se complique de la plus étrange façon. Une élection immédiate était à peu près impossible ou du moins très difficile, parce qu’il y a un certain nombre d’affaires courantes à expédier, et parce que d’un autre côté, si le bill de réforme est voté pour l’Angleterre, il ne l’est pas pour l’Ecosse et pour l’Irlande. Le bill pour l’Irlande et l’Ecosse est en ce moment même soumis au parlement. L’élection devrait donc se faire sous des régimes différens ou avec la perspective de se renouveler l’année prochaine. Or en Angleterre c’est une affaire grave, les élections coûtent cher. C’est de cet ensemble de circonstances que M. Disraeli a tiré merveilleusement parti, faisant luire aux yeux du parlement cette arme bien affilée de la dissolution immédiate ou à terme, se donnant cavalièrement de l’espace et du temps jusqu’à l’automne, mettant d’ailleurs ses adversaires au défi de proposer un vote formel de non-confiance qui trancherait tout. Par le fait, ses adversaires ont reculé jusqu’ici, de telle sorte que, si l’opposition garde la victoire, M. Disraeli garde le pouvoir.

Il en résulte seulement une situation singulièrement tendue, passionnée et violente, où le premier ministre actuel de l’Angleterre, avec toute son habile dextérité, a fort à faire pour se défendre contre les rudes assauts qui viennent troubler sa confiante bonne humeur. Il s’est vu accusé de se mettre au-dessus de toutes les règles constitutionnelles, de manquer à tous ses devoirs en engageant le nom de la reine pour abriter son ambition, et, il y a peu de jours, M. Bright, dans un mouvement de fougueuse éloquence, lançait tout simplement contre M. Disraeli les mots de « trahison et de félonie envers la souveraine et envers le pays. » Il lui reprochait durement de dire par son attitude au peuple irlandais : « Votre reine tient le drapeau sous lequel nous, les ennemis de l’égalité religieuse et de la justice, nous sommes enrégimentés… » M. Disraeli, dans ces cas-là, n’est pas d’habitude en reste de sarcasmes ; il a répliqué avec toute l’audace de sa verve railleuse, et en définitive il ne s’est laissé persuader ni par M. Gladstone ni par M. Bright qu’il devait quitter le pouvoir. Il laisse passer cet orage parlementaire, raillant l’opposition et l’attendant à un vote de défiance, si elle se décide à en faire la motion. Il compte peut-être un peu sur le temps pour affaiblir ses adversaires d’ici aux élections, et il se dit qu’après tout il a encore des ressources, qu’il a pour complices des intérêts puissans qui ont été un peu surpris, mais qui ne resteront pas inactifs. S’il y a des meetings pour l’abolition de l’église d’Irlande, il y en aura aussi pour le maintien de l’église d’état en Irlande comme en Angleterre, et dans le lieu même où, il y q quelques semaines, lord John Russell allait porter le secours de sa parole et de son adhésion aux opinions de M. Gladstone, à Saint-James’ Hall, une réunion avait lieu tout récemment, où assistaient le duc de Northumberland, lord Colchester, le comte d’Harrowby, l’ar-