Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/593

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur cette terre qui n’avait porté encore que quelques transfuges de l’art étranger ou tout au plus quelques praticiens médiocres, comme les sculpteurs Wiedewelt et Weidenhaupt ? Depuis moins d’un demi-siècle seulement, l’humble école de dessin fondée à tout hasard par Frédéric V avait été érigée par lui en académie royale de peinture, et les académiciens successivement désignés n’avaient trouvé ni autour d’eux ni en eux-mêmes des ressources qui leur permissent d’instituer ou de développer une tradition. Un seul peut-être, le sculpteur français Saly, appelé en 1754 à Copenhague pour modeler la statue équestre du roi, semblait en mesure de déterminer par son talent quelque progrès et d’exercer quelque influence. Malheureusement l’école dont il était issu ne l’avait guère préparé au rôle de réformateur, encore moins à celui de prophète. Saly, malgré toute son habileté, ne pouvait importer que le goût et les principes de la décadence dans un pays où l’art en était à peine à éprouver ses forces naissantes, à essayer ses premiers pas. Avec lui, l’école danoise commençait par où les autres écoles finissent, et bien que Saly, mort en 1776, n’ait pas directement agi sur l’éducation de Thorvaldsen, celui-ci n’en dut pas moins subir à son tour l’influence de cette doctrine emphatique qu’Abildgaard et ses pareils lui transmettaient de seconde main.

Les origines du talent de Thorvaldsen ne remontent donc pas, à proprement parler, au-delà de l’époque où l’Italie et l’antique en développèrent tout à coup les germes. Le maître lui-même n’assignait pas une autre date aux débuts de sa vie d’artiste. « Je suis né, disait-il, le 8 mars 1797 ; jusque-là, je n’existais pas. » Encore ne commençait-il, même alors, à exister qu’à demi, l’action de son intelligence s’exerçant uniquement sur les objets que ses regards pouvaient embrasser, et le reste demeurant pour lui lettre morte. « Notre compatriote Thorvaldsen est venu passer ici huit jours pour voir les curiosités des environs, écrivait de Genzano l’archéologue Zoega[1]. C’est un artiste de beaucoup de goût et de sentiment, mais ignorant tout ce qui est en dehors de l’art… Sans la moindre connaissance de l’histoire et de la mythologie, comment est-il possible qu’un artiste fasse ses études comme il le faudrait ? Je ne demande pas qu’il soit savant, je ne le souhaite même pas. Pourtant il est nécessaire qu’il ait au moins une idée du nom et du sens des choses qu’il voit. » Thorvaldsen, en face de ces choses, ne rêvait à rien de plus qu’aux moyens d’en reproduire

  1. Auteur, entre autres ouvrages estimés, d’un traité De usu et origine obeliscorum, dont la publication, antérieure aux découvertes de Champollion, a peut-être contribué à préparer celles-ci par un commencement de lumière sur l’histoire et la classification des monumens hiéroglyphiques.