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qu’ils suscitèrent en Allemagne. Gentz salua d’abord avec joie la révolution de France ; il partagea l’enthousiasme du monde civilisé et ses espérances d’un moment, suivies bientôt d’un retour qui ne fit que substituer à l’illusion révolutionnaire une illusion plus dangereuse, celle d’une restauration du pouvoir absolu. Bonaparte, après une première satisfaction donnée par le 18 brumaire à ceux qui poursuivaient la révolution d’une haine implacable, ne tarda pas à leur apprendre que l’épée est un mauvais instrument de réparation, et l’oppression qu’il fît peser sur l’Europe ne parut qu’une forme nouvelle du mal dont on lui avait su gré de la délivrer. La haine d’innovations impies se doubla des colères du patriotisme irrité, c’est-à-dire qu’aux terreurs de la vieille Europe monarchique, qui se sentait ébranlée, s’associa le besoin d’indépendance et de liberté éveillé chez les peuples par la conquête ? mais, si ces deux choses se trouvèrent passagèrement alliées en Espagne, en Russie, en Prusse, elles n’en restèrent pas moins distinctes, et le chevalier de Stein représente bien en Allemagne les sentimens de la nation. Gentz ceux des gouvernemens. L’existence de Gentz nous découvre le travail d’intrigues souterraines auquel les gouvernemens se livrèrent pour saper l’édifice impérial sans avoir à emprunter le secours des forces populaires, politique craintive et misérable qui eût fini par prendre en patience la défaite même et par accepter le nouveau régime pour peu qu’il eût flatté ses espérances de conservation. Ce fut celle de l’Autriche vers 1811 ; mais, lorsque quatre ans après celle-ci se fut laissé traîner à la victoire, elle embrassa aussitôt avec autant d’ardeur qu’il pouvait y en avoir dans ce corps sénile et poursuivit avec une incroyable obstination son plan de restauration à outrance. Il se manifeste en plus d’un point de l’Europe Ses desseins dont il est difficile d’apercevoir exactement la portée, parce qu’on ne les avoue qu’à moitié, qui cependant n’iraient sans nul doute à rien moins qu’à constituer un état de choses où l’on mesurerait pour son bien à la pensée humaine l’espace et la liberté. Eh bien ! ces expériences, ces illusions, ces théories, ces rêves, le monde politique les a déjà connus à une époque où ceux qui s’en nourrissaient avaient de meilleures raisons de compter sur le succès qu’il n’y en a maintenant. On n’inventera rien de mieux pour atteindre le but poursuivi que les moyens imaginés et mis en œuvre sous la restauration, qu’on trouve énoncés dans les écrits de Gentz avec le détail et la précision désirables. Qu’est-t-il arrivé ? La carrière de cet écrivain s’écoule entre deux dates ; 1789 et1830, lesquelles enferment une période qu’on peut très bien, sans y chercher une unité factice, considérer comme un cycle clos et complet. Après une lutte savante contre la révolution, après des congrès, des interventions armées, les mesures les plus heureusement