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ministère, Napoléon lui ferait très bon accueil. Cette pensée qui le tourmentait beaucoup, était pour lui, nous assure-t-il, comme une épine dans le cœur. Il était vivement frappé du préjudice que pourraient porter à sa considération les gracieusetés publiques de celui « qui jouissait dit-il en ses mémoires, de tout autre chose que de l’amour et de l’estime du monde[1]. » Il n’ignorait pas que l’empereur, au jour même où il s’était plaint de lui avec le plus d’amertume, n’avait pas cessé de parler avec goût de sa personne et de son esprit. Il croyait même savoir que Napoléon se plaisait à le représenter comme ayant au fond modifié beaucoup ses opinions, et n’étant plus, naturellement ou par principes, hostile à sa manière de voir. Souvent on avait répété autour de l’empereur que la retraite de cet ancien secrétaire d’état, l’ami particulier de Pie VII avait été un très fatal incident. « S’il avait refusé parfois ce qu’il ne s’était point cru le droit d’accorder, celui-là du moins n’était pas un fanatique et jamais il n’avait repoussé les arrangemens possibles; la jalousie du cardinal Fesch, qui avait seule préparé et causé sa chute, avait fait le plus grand tort aux affaires publiques. » C’était la terreur de Consalvi qu’en s’exprimant ainsi en public Napoléon ne voulût donner à penser que l’ancien ministre de Pie VII blâmait secrètement la conduite tenue par la cour de Rome depuis qu’il était sorti du ministère. La seule idée que l’adversaire de son bien-aimé souverain songerait peut-être à se servir de lui pour ajouter aux chagrins du prisonnier de Savone le faisait frémir d’indignation,

Consalvi ne fut pas admis seul à l’audience impériale; il fut présenté en même temps que quatre autres cardinaux arrivés dans la semaine à Paris. C’étaient, outre le cardinal di Pietro, venu de Rome avec lui, les cardinaux Pignatelli, Saluzzo et Despuig. Le cardinal Fesch les avait placés à part en demi-cercle et du même côté, tandis que tous les autres cardinaux, résidant depuis longtemps à Paris, se tenaient de l’autre. La cour était au grand complet Arrive l’empereur avec son accompagnement ordinaire de rois, de reines, de princes, de princesses du sang et de tous les grands dignitaires de l’état. Le cardinal Fesch se détache, et commence à lui présenter les nouveau-venus par ordre de prééminence de cardinalat. Il lui nomme le premier « le cardinal Pignatelli. » Napoléon, qui était probablement dans un de ces jours de superbe dont parlait naguère Cambacérès, répond : « Napolitain, » et passe outre. Le cardinal Fesch présente le second : « le cardinal di Pietro. „ L’empereur s’arrête un peu : « Vous êtes engraissé; je me rappelle vous avoir

  1. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 174.