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reur le lui avait bien dit, mais il l’avait nié, et même en ce moment il ne pouvait le croire encore. — « Quoi! un homme doué de son intelligence et qui n’était pas imbu des préjugés de ses collègues ! » — Et tout aussitôt il se mit à énumérer les conséquences d’une pareille démarche : c’était se rendre coupable envers l’état de la façon la plus grave parce que cette affaire touchait à la légitimité du mariage, et intéressait la succession au trône des enfans qui en naîtraient. Consalvi eut réponse à tout; Fouché ne se lassa point. « Si les autres cardinaux ne venaient pas, le mal ne serait pas irréparable; mais si lui, qui avait été premier ministre, qui avait fait le concordat, sur qui les yeux de chacun étaient fixés, n’assistait pas à la cérémonie, ce serait une chose terrible, l’empereur en serait furieux. Cela ne se pouvait, ce serait un trop grand malheur. Il viendrait plutôt, lui, Fouché, le prendre dans sa voiture. » Ainsi finit un colloque qui, au dire de Consalvi, lui avait donné une sueur mortelle[1].


IV.

Cependant le moment décisif approchait, la future impératrice était arrivée à Paris. A la réception des grands corps de l’état, l’empereur, lui présentant le sacré-collège, nomma gracieusement Consalvi en disant à l’impératrice, qu’il tenait par la main : « C’est celui qui a fait le concordat. » Cela se passait le samedi au soir 31 mars. Le mariage religieux était fixé pour le surlendemain lundi. On avait à cet effet disposé en chapelle le grand salon du Louvre qui fait suite à la galerie des tableaux. Rien n’avait été épargné pour ajouter le plus magnifique éclat à cette cérémonie. Si vaste que fût la salle où la bénédiction devait être donnée aux époux, elle ne l’était pas encore assez pour contenir tous ceux qui, avec quelque apparence de droit, avaient aspiré à s’y faire placer. Toute la grande galerie des tableaux était remplie d’une foule de spectateurs choisis parmi ce que la France avait de plus distingué, et qui, rangés de chaque côté sur trois ou quatre rangs, jouissaient au moins du privilège fort envié de voir défiler devant eux le cortège impérial. Lorsque l’empereur, conduisant Marie-Louise par la main, traversa lentement l’interminable galerie, chacun fut frappé de l’air de triomphe qui éclatait dans toute sa personne. Sa physionomie, naturellement sérieuse, était resplendissante de bonheur et de joie. Comment en aurait-il été autrement? et pour cet enfant de ses œuvres, pour ce soldat de for-

  1. Mémoires de Consalvi, t. II, p. 198 et suiv.